L’âgisme regroupe toutes les formes de discrimination, de ségrégation, de mépris fondés sur l’âge.
Selon le Glossaire du site "Stop Discrimination", publié par l'Union Européenne, l'âgisme est un "préjugé contre une personne ou un groupe en raison d'âge". La citoyenneté européenne confère le droit à la protection contre la discrimination en raison d'âge. Selon l'Article 21-1 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, "Est interdite toute discrimination fondée notamment sur (...) l'âge"[].
Définition de l'Observatoire de l'âgisme en France
L'âgisme est à l'âge ce que le sexisme est au sexe, le racisme aux "races", etc. Si le terme âgisme faisait, lors de sa création (en 1969, aux États-Unis, par le gérontologue Robert Butler), surtout référence aux discriminations touchant les personnes âgées, il est employé aujourd’hui quel que soit l’âge des personnes qui en sont victimes. De nombreuses manifestations de l’âgisme touchent en effet les jeunes.
À l'instar de certaines formes de racisme ("les Noirs sont... "), de xénophobie ("tous les étrangers sont... ") ou de sexisme ("les femmes sont... "), l’âgisme repose le plus souvent sur des stéréotypes généralisants et caricaturaux : "les vieux sont tous conservateurs... " ; "les jeunes sont tous violents... " ; "les plus de 50 ans sont technophobes... " ; "les jeunes sont inconstants...", etc.
D’autres types de préjugés peuvent aisément conduire à des formes particulières d’âgisme. Entre autres le "jeunisme", qui estime que les personnes jeunes sont plus aimables et possèdent plus de qualité que les personnes âgées, ou le "gérontocratisme", qui établit comme principe que les personnes âgées sont plus qualifiées que les jeunes pour occuper le pouvoir.
Parmi les manifestations les plus inquiétantes de l’âgisme contemporain, les discriminations dans le domaine de l’emploi (trentenaires jugés "trop jeunes", quadragénaires jugés "trop vieux"), de l’accès à la formation continue (plus difficile dès la quarantaine), de l’accès à certaines aides (une personne handicapée de plus de 60 ans disposera de moins d’aide qu’une personne handicapée de moins de 60 ans) ou à certains soins (par exemple, temps d’attente aux urgences beaucoup plus long pour les personnes très âgées ; certains services hospitaliers refusant des personnes malades à cause de leur âge).
Lutte contre l’âgisme : le Québec se mobilise pour ses aîné-e-s[1]
Ah, « ces retraités qui dépensent l’argent des jeunes travailleurs ! »… « Ces vieux de 55 ans qui voudraient encore travailler »… « Ces vieux malades qui envahissent les hôpitaux »… Qui n’a pas déjà entendu ces propos de la bouche d’un proche ou à la lecture d’un quotidien ? Pourtant peu de personnes ont conscience qu’il s’agit de propos discriminants. Cette discrimination porte un nom : l’âgisme. Le 19 mars 2009, les spécialistes de la question se sont retrouvés au Québec pour une journée de réflexion organisée à Montréal par l’Observatoire Vieillissement et Société . Études à l’appui, de nombreux stéréotypes sur l’âge ont été dénoncés et démontés. Le ton n’était pas à la victimisation des aînés, mais davantage à la mobilisation pour donner aux 300 participants, aînés, bénévoles, professionnels et étudiants, des armes pour lutter contre l’âgisme.
« Imaginons un instant que les aînés se mettent en grève… », c’est par ce clin d’œil que la ministre québécoise de la Famille et des Aînés Marguerite Blais a ouvert le débat, invitant le public et les intervenants à mesurer le rôle des aînés dans le fonctionnement de la société, à travers le travail, le bénévolat ou l’aide apportée au sein des familles.
Bouc-émissarisation des vieilles personnes
Les stéréotypes sur la vieillesse fréquemment employés dans la langue courante ont été pointés du doigt par l’écrivain et chercheur Jérôme Pellissier. Comment est représenté le vieillissement démographique de la population ? Habituellement comme une « marée grise », un « tsunami démographique », une « menace » pesant sur le pays. Jamais comme une bonne nouvelle. Pourtant une société sans vieilles personnes serait surtout… une société où l’on mourrait jeune. Il y a 200 ans, 60 % des personnes de 20 ans étaient orphelines. Aujourd’hui une famille peut compter jusqu’à cinq générations.
Les personnes à la retraite sont souvent représentées, dans nos sociétés, par deux stéréotypes aussi caricaturaux l’un que l’autre. D’un côté, la figure du senior aisé de 60-70 ans, présenté comme oisif et égoïste, ne vivant que pour ses loisirs. De l’autre, la « personne âgée dépendante », après 80 ans, dépeinte comme forcément malade et démente, devenue tout à coup une « charge » pour la famille, un « poids » pour la société. Le Monde illustrait sa une du 1er décembre 2008 « Le bonheur est-il réservé aux sexagénaires ? » par un dessin de Plantu clairement âgiste. On y voyait représenté d’un côté un « senior » riche, heureux et oisif, dérangeant une foule de jeunes chômeurs qui « voudraient bosser ». Pourquoi ces représentations alors qu’on sait qu’une très grande partie des retraités vit dans une situation de pauvreté ? Peut-être justement pour masquer cette réalité de pauvreté ou pour masquer l’importance du rôle des retraités dans les activités associatives ou dans l’aide au sein des familles, sujets moins médiatiques. Ces stéréotypes sont inquiétants car ils ont en commun d’être accusateurs envers un groupe d’âge. Cela ressemble à une bouc-émissarisation d’un groupe de personnes ayant en commun un seul critère, l’âge, mais pointé comme coupable à lui seul de tous les maux de la société.
La comédienne québécoise Béatrice Picard a aussi dénoncé ces stéréotypes en s’en amusant et en rappelant les nombreuses expériences positives du vieillissement. C’est aussi sous l’angle humoristique qu’un des aînés membre de l’Observatoire Vieillissement et Société, s’était déguisé en mi-jeune /mi-vieux. Baskets, jogging, casquette d’un côté, costume, cravate, cheveux gris de l’autre, ce « clown » déambulait auprès des participants avec un message simple : jeunesse et vieillesse cohabitent en tout être humain, à tout âge. Seul l’âgisme est à l’origine de l’opposition radicale entre l’enfant et la personne âgée.
Âgisme au travail
Martine Lagacé, docteure en psychologie sociale et professeure en communication, a démontré les coûts de l’âgisme au travail pour l’individu, l’entreprise et la société. Le milieu du travail est un terrain particulièrement favorable aux stéréotypes et croyances âgistes. Un avis partagé par Marcel Mérette, professeur de Science économique à l’Université d’Ottawa, venu présenter les résultats d’une étude singulière. Une simulation économique a permis d’évaluer l’impact sur le PIB d’un retrait hâtif et non voulu de travailleurs âgés de 60 à 64 ans. Pour l’année 2008, si le taux d’activité des 60-64 ans avait été de 60 %, le PIB aurait connu une augmentation de 0,98 %. Un autre scénario du modèle envisage une projection en 2020, en intégrant les changements démographiques mais en appliquant un taux d’activité des 60-64 ans constant : le PIB connaîtrait alors une baisse de -1,2 %.
Âgisme à l’hôpital
Au niveau médical, les questions de maltraitance font souvent la une des media. La discrimination peut prendre des formes moins visibles. Marie Jeanne Kergoat en a cité quelques exemples. Une personne âgée ressent une douleur. Elle pourra s’entendre dire « c’est normal, c’est l’âge » et les troubles de la douleur ne seront pas dépistés… Gériatre, M.J. Kergoat a cherché à comprendre les causes de l’âgisme à l’hôpital. Le modèle biomédical y règne : les professionnels viennent y travailler en raison du caractère aigu et de la technicité des soins offerts, voire du prestige et de la rémunération. Or qu’y trouvent-ils ? Des personnes âgées, atteintes de maladies chroniques, souvent difficiles à traiter car atteintes de polypathologies et ayant besoin d’une récupération plus longue. En résulte un décalage entre le désir de ceux qui offrent les soins et les attentes des personnes qui viennent s’y faire soigner : « les malades qu’on rencontre ne sont pas ceux que l’on voudrait rencontrer ». Ce décalage peut être à l’origine de pratiques âgistes. Tout comme le fonctionnement même d’un hôpital : les services sont spécialisés et la durée de séjour restreinte. Repenser l’organisation de l’hôpital et la formation des professionnels est donc capital. Et selon M.J. Kergoat, cela passe par une loi, étape essentielle dans la lutte contre tous les « ismes ».
Âgisme scientifique
Le géographe de la santé Jean Pierre Thouez a endossé le rôle de critique de la recherche scientifique, en mettant en garde le public contre l’âgisme dans la littérature scientifique. La nomenclature en classes d’âges présente souvent le groupe « âgé » comme « les 70 ans et plus », ou « 65 ans et plus », à l’inverse des classes d’âge inférieur, plus étroites. Cette vision large de la vieillesse empêche d’avoir une connaissance fine et nuancée des personnes ayant plus de 65 ou 70 ans.
Un certain nombre de préjugés concernant les capacités physiques et mentales des personnes âgées ont été mis à mal par le professeur de psychologie à l’Université du Québec à Montréal et chercheur Louis Bherer. Au-delà d’exemples de personnes vieillissantes ayant réalisé des exploits intellectuels ou sportifs, le chercheur a rappelé l’existence d’études montrant l’impact de l’activité physique sur la longévité (deux ans de hausse d’espérance de vie en moyenne). Selon lui, bien plus que l’âge, c’est la sédentarité qui peut être un facteur discriminant, une activité physique régulière favorisant l’intégrité des fonctions cérébrales. Autre coupable : nous-mêmes ! Un cerveau qui s’auto-dévalue fonctionne moins bien. C’est donc l’auto-dévaluation liée à son âge, souvent intériorisée par les personnes vieillissantes qui peut aussi entraîner un moins bon fonctionnement du cerveau.
L’âgisme meurtrier
De nombreux aînés meurent de «négligence»
Des centaines de personnes âgées meurent chaque année[2] au Québec parce que la société ne prend pas soin d'elles correctement, affirme le sociologue Louis Plamondon.
Et comme il n'y a aucune mesure de contrôle, cet « âgisme meurtrier » fait possiblement des centaines d'autres victimes, mais personne ne le sait, dénonce le chercheur associé à l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal.
Dans une recherche publiée aujourd'hui dans la revue Vie et vieillissement, M. Plamondon montre que le Québec traite ses aînés avec indifférence.
De 2005 à 2007, le Bureau du coroner de la province a enquêté sur la mort violente de 2370 personnes de plus de 65 ans. M. Plamondon a analysé ces dossiers et a découvert que, dans 33% des cas, l'âgisme a pu contribuer au décès. «Dans ces dossiers, on peut penser que la négligence passive ou active de différents acteurs a causé ces décès, note M. Plamondon. C'est ce que j'entends par âgisme.»
Le chercheur a par exemple répertorié 394 cas de suicide. «On sait que la dépression est sous-traitée chez les aînés. Les personnes âgées se font souvent dire: "C'est normal que vous soyez déprimé, vous êtes vieux!" On peut parler ici de négligence et d'âgisme», commente M. Plamondon. La douleur chronique et la solitude peuvent aussi mener des aînés à se suicider, et M. Plamondon croit que la société doit faire quelque chose pour freiner le phénomène.
« C'est un fort taux de suicide. C'est plus élevé que chez les jeunes et, pourtant, on en entend peu parler. Il faut faire quelque chose», dit la présidente de l'Association québécoise de gérontologie, Catherine Geoffroy.
M. Plamondon a aussi répertorié 101 cas de chutes d'un lit, d'un fauteuil ou d'un escalier chez des aînés qui étaient portés ou soutenus par un tiers. «On parle ici de négligence de membres du personnel dans les lieux de résidence et les hôpitaux, et ce personnel est parfois mal formé», note M. Plamondon.
Ce dernier a aussi enregistré 30 homicides, 91 cas de piétons heurtés par un véhicule à moteur et 22 cas de noyade dans une baignoire ou dans une piscine supervisée. Des expositions soutenues au feu, au froid ou à la fumée ont fait 32 victimes, et 27 autres personnes sont mortes après avoir été intoxiquées ou avoir consommé des médicaments.
« Ces morts sont toutes causées par une certaine négligence, soutient M. Plamondon. Dans certains cas, des personnes âgées sont oubliées hors de leur résidence et meurent de froid. Certaines histoires donnent réellement froid dans le dos. »
Déjà troublé par ces premières conclusions, M. Plamondon ajoute que la situation pourrait être bien pire qu'elle n'y paraît. De l'aveu même du Bureau du coroner, une infime partie des décès de personnes âgées font l'objet d'enquêtes au Québec. Dans un colloque sur les abus envers les aînés, en avril dernier, la coroner Catherine Rudel-Tessier a affirmé que plus de 750 décès de personnes âgées font l'objet d'une enquête chaque année mais que de nombreux cas de morts violentes passent inaperçus parce qu'ils ne sont pas dénoncés.
« Seuls les décès signalés au coroner font parfois l'objet d'une enquête. On devrait changer la loi pour avoir un portrait plus juste de la situation et obliger la déclaration de toute mort de personne âgée en centre privé ou public», croit M. Plamondon.
La loi oblige déjà les centres de réadaptation, les centres jeunesse, les garderies et les prisons à déclarer automatiquement tout décès. « On le fait pour les prisonniers et les enfants, mais pas pour les personnes âgées. On devrait répandre cette obligation aux résidences privées et publiques pour aînés », commente M. Plamondon.
RD
[1] Joséphine Loock, chercheuse sur la perte d’autonomie au Québec, « compte-rendu de la journée de réflexion » organisée le 19 mars 2009 à Montréal par l’Observatoire Vieillissement et Société. http://agisme.fr/spip.php?article45
[2] Un article d’Ariane Lacoursière, Cyber-Presse, 15 juin 2009.
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