Vivre la vie d'un Senior

mercredi 15 août 2012

Vieillissement : les théories développementales


Psychologie du vieillissement : les théories développementales (chap.8)

(Tiré du volume de Jean-Luc Hétu, intitulé « Psychologie du vieillissement »)

Que serons-nous devenus dans 10 ans ? dans 20 ou 30 ans ? Nos connaissances actuelles nous permettent d'esquisser certaines probabilités : notre force physique aura décliné sensiblement, nos capacités intellectuelles se seront légèrement affaiblies, notre acuité sensorielle aussi aura connu une certaine baisse.

Mais qu'arrivera-t-il à ce qui nous est le plus précieux, à ce qui constitue dans notre individualité propre, c'est-à-dire notre personnalité ? S'il faut en croire les tenants de la théorie de la continuité, nous n'aurons pas vraiment changé. Nous aurons encore la même approche de la vie et nous continuerons notre petit bonhomme de chemin.

En somme, nous n'aurons pas changé d'une façon spectaculaire, mais avec un peu de chance, nous nous seront développés beaucoup - selon la théorie d'Erikson.


Théories et modèles

Une théorie est un ensemble d'explications proposées pour rendre compte d'une série de phénomènes donnés. Une théorie essaie de mettre de l'ordre dans les faits qui sont connus relativement à une série de phénomènes, en formulant des lois ou des principes qui pourraient être soumis à la critique et à l'expérimentation.

À l'heure actuelle, il n'existe pas véritablement de théorie du développement humain, c'est-à-dire de théorie qui expliquerait d'une façon satisfaisante comment et dans quelle direction les humains changent en avançant en âge. On a vu qu'on pouvait même aller aussi loin que de se demander si les humains se développent effectivement en vieillissant.

À défaut de théorie, les gérontologues disposent cependant de « modèles », que le Petit Robert définit comme une représentation simplifiée d'un processus ».

Concernant le développement de la personnalité, il existe trois grandes catégories de modèles, soit les modèles organistes, les modèles behavioristes, et les modèles mixtes, qui empruntent des caractéristiques aux deux catégories précédentes.

Les modèles organistes

Les modèles organistes conçoivent le développement psychologique comme étant déclenché de l'intérieur, tout comme le développement physique. Or, la croissance physique se déroule selon différentes étapes : au stade de l'embryon, à l'enfance, à l'adolescence, etc. Il en ira de même au plan psychologique, ce qui donnera lieu au concept fondamental de stades, d'étapes ou de phases, dont la nature et le nombre pourront varier beaucoup, selon les modèles.

Ces modèles attribuent en général un rôle plus ou moins important à l'environnement, mais ce rôle n'est jamais déterminant. L'environnement physique et social peut stimuler ou ralentir le développement, mais là s'arrête sont rôle. Les modèles organistes partagent trois présupposés :

  • Il y a des changements psychologiques qui tendent à se produire chez tous les humains;
  • Ces changements ne s'expliquent pas par des changements dans l'environnement où ces sujets évoluent;
  • Ces changements sont attribuables à la façon même dont l'organisme humain est structuré.
Les modèles behavioristes

Les modèles behavioristes classiques, pour leur part, font une équivalence stricte entre se développer et s'adapter.  L'être humain n'est pas actif comme dans les modèles organistes, mais il est réactif,  c'est-à-dire qu'il s'ajuste aux contraintes et aux possibilités de son environnement.
En d'autres termes, le changement ne prend pas sa source dans l'organisme du sujet, mais il est provoqué de l'extérieur du sujet, que ce soit par ses parents ou par les autres acteurs sociaux qui interagissent avec lui. Pour les modèles organistes, la personne psychologiquement adéquate et épanouie est déjà contenue dans l'embryon comme le chêne dans le gland. Pour connaître son développement complet, elle n'aura besoin que d'un environnement favorable, tout le gland aura besoin d'un sol fertile et humide et de soleil.

Pour les modèles behavioristes, par contre, c'est l'influence de l'environnement qui est déterminante, beaucoup plus que la « nature » du gland. L'humain est non seulement influencé mais il est déterminé autant par sa nature même que par les différents milieux dans lesquels il évoluera tout au long de sa vie.

Dès lors, se développer ne consiste pas à actualiser son potentiel ou à acquérir des structures internes rendant possible des performances. Se développer consiste plutôt à apprendre à s'ajuster à son environnement, c'est-à-dire à apprendre à éviter ce qui entrave son fonctionnement et à rechercher ce qui le facilite.

Ce concept d'apprentissage, maintenant devenu central chez les behavioristes, vient toutefois rendre un peu artificielle l'opposition entre les modèles dit « organistes » et les modèles dit « behavioristes ». Apprendre, en effet, c'est devenir capable d'agir sur son environnement pour pouvoir répondre à ses besoins personnels.


Les modèles mixtes

Les modèles mixtes voient le développement psychologique comme résultant à la fois du potentiel de l'organisme (comme dans les modèles organistes) et de l'environnement (comme dans les modèles behavioristes). Mais, il s'agit ici de l'environnement au sens large, ce qui peut inclure de la culture et du contexte historique dans lesquels le sujet évolue.

La source du changement dans ces modèles n'est plus ni à l'intérieur ni à l'extérieur à lui, mais elle est à situer dans l'interaction entre ce qui se passe à l'intérieur du sujet et ce qui se passe autour de lui. Le changement se produit alors par l'apparition d'une contradiction qui vient rompre un équilibre donné, et forcer l'évolution vers un nouvel équilibre... jusqu'à l'apparition del a contradiction ou de la crise suivante.

Les modèles mixtes ou dialectiques voient ainsi le changement psychologique ou la croissance humaine comme une suite de crises (tournants importants) survenant inévitablement lorsqu'un organisme humain changeant évolue dans un environnement social qui est lui aussi en mouvement.

Pour les modèles mixtes, se développer, c'est vivre une séquence de transitions, ou encore c'est surmonter une série de ruptures d'équilibre provoquées autant par les demandes de l'organisme que par celles de l'environnement.

Concevoir les crises comme des transitions, c'est introduire le concept de phases ou d'étapes dans le développement humain, car une transition implique un était stable avant et un état stable après. Les modèles mixte se caractériseront donc par une séquence d'apprentissages que les humains seraient censés réaliser à mesure qu'ils avancent en âge.


Le calendrier de Robert Havighurst

Un psychologue de Chicago (1948) a dressé un inventaire des principales tâches développementales qui sont mises à l'ordre du jour à mesure que le sujet avance en âge. Voici la liste qu'il a dressé pour les tâches qu'il assigne aux deux dernières étapes de la vie.

Tâches développementales à la maturité :

  • Aider ses adolescents à devenir des adultes responsables et heureux;
  • En arriver à devenir sensibilisé et engagé au niveau socio-politique;
  • Atteindre et maintenir un niveau de performance satisfaisant dans son champ professionnel;
  • Développer des activités de loisir appropriées à son âge;
  • Apprendre à reconnaître son conjoint comme une personne plut^to que d'interagir avec lui sur la seule base de ses rôles;
  • Accepter les changements physiologiques de la maturité et s'y ajuster;
  • S'ajuster au vieillissement de ses parents.

Tâches développementales à la vieillesse :


  • S'ajuster au déclin de ses forces physiques et de sa santé;
  • S'ajuster à la retraite et à la baisse de revenus qui lui est associée;
  • S'ajuster à la mort de son conjoint;
  • Se reconnaître concrètement comme faisant partie des personnes de son âge (par exemple, ne pas faire comme si on était encore plus jeune ou déjà plus vieux);
  • Adopter des rôles sociaux appropriés à son âge (pour compenser les rôles typiques de la maturité);
  • Établir des conditions satisfaisantes de logement.
Ces listes offrent des points de repère intéressants pour un individu donné. Il s'agit de les adapter au contexte particulier de tous et chacun.

Enfin, certains gérontologues se plaignent de ne pas disposer d'un modèle théorique leur permettant de situer ce qui survient à la vieillesse dans le cadre de l'évolution de la personnalité sur l'ensemble de la vie. C'est ce qui la théorie d'Erikson est venue combler, en décrivant huit étapes qui s'enchaînent de la naissance à la mort, d'où le nom de « modèle de cycle de vie ».

RD

dimanche 5 août 2012

Vieillissement : la théorie socio-économique


(Tiré du volume de Jean-Luc Hétu, intitulé « Psychologie du vieillissement »)


La psychologie du vieillissement : la théorie socio-économique
  • La théorie du désengagement  nous dit en substance qu’en vieillissant les gens se retirent progressivement  et que c’est correct.
  • La théorie de l’activité nous dit qu’ils perdent leurs rôles mis qu’ils devraient demeurer actifs.
  • La théorie de la continuité nous dit : dis-moi comment tu fonctionnes psychologiquement et je te dirai comment tu vieilliras.
  • La théorie socio-économique vient nous dire pour sa part : dis-moi dans quel environnement tu as vécu et je te dirai de quoi ta retraite sera faite. Cette théorie s’intéresse à la façon dont la vieillesse est produite par la société.
Utilisant l’analyse marxiste des rapports sociaux, cette théorie affirme que l’on vieillit plus ou moins vite selon qu’on est pauvre ou riche, et que l’expérience de la vieillesse est pénible quand on est pauvre et gratifiante quand on est riche.

Pour les tenants de cette théorie, si l’on veut comprendre quelque chose au phénomène du vieillissement, il faut d’abord essayer de comprendre la dynamique de base des structures sociales, étant donné que la vieillesse n’est que le point d’arrivée et le résultat d’un processus social commencé bien plus tôt, « en amont ». La théorie socio-économique serait ainsi une théorie de la continuité, mais de la continuité sociale et non pas de la seule continuité psychologique.

Le concept du vieillissement différentiel

C’est le concept de vieillissement différentiel qui constitue le point d’encrage le plus solide de la théorie socio-économique. Dans la réalité. Toutes les recherches faites dans ce domaine nous disent en effet que les gens ne vieillissement pas au même rythme, et que les sujets de la classe ouvrière s’ « usent » sensiblement plus vite que ceux des classes supérieures.

Les recherches sur le vieillissement différentiel  consistent dans un premier temps à mesurer le « degré d’usure » d’un sujet en évaluant le plus précisément possible ses capacités fonctionnelles : acuité visuelle et auditive, coordination motrice, capacité de raisonnement, capacité d’ajustement, par exemple.

Ces mesures sont ensuite réunies dans un score global, qui nous donne l’âge biologique du sujet, correspondant en fait à son degré d’usure. C’est ainsi que l’on peut, en analysant les caractéristiques d’une population donnée, déterminer l’écart moyen entre l’âge biologique et l’âge chronologique.  C’est ainsi qu’on constatera que l’âge biologique moyen des travailleurs en manufacture ou des mineurs, par exemple, est sensiblement plus élevé que celui des cols blancs.

Surveillissement et mortalité prématurée

L’expérience du survieillissement et la diminution de l’espérance de vie sont évidemment deux phénomènes associés. En se basant sur l’année 1978, la répartition du taux de mortalité sur l’Île de Montréal par des chercheurs ont fait confirmé une fois de plus la théorie socio-économique : dans l’ensemble, les pauvres meurent plus tôt (et par conséquent, vieillissent systématiquement  plus vite et plus mal) que les riches.

En fait, plus on est haut dans l’échelle sociale, plus le niveau d’instruction est  élevé, moins on meurt de maladie coronarienne (la première cause de décès dans la population) et des autres maladies comme les cancers de la trachée, des bronches et des poumons, la cirrhose du foie (dont l’alcool est directement responsable).

Plus précisément, c’est la place que le sujet occupe dans l’organisation sociale du travail (actionnaire, cadre supérieur ou intermédiaire, travailleur spécialisé. Manœuvre ou préposé, chômeur,…) qui détermine la trajectoire de vie, qui structure l’existence des différents acteurs sociaux. Les pratiques sociales des personnes âgées expriment le plus souvent cette longue chaîne de déterminismes sociaux qui a progressivement élaboré leurs contours.

Les pratiques de retraite

En 1970, une recherche en France auprès de 1000 retraités de différentes classes sociales, a permis de distinguer différentes pratiques de retraite :

La retraite – retrait, caractérisée par une baisse spectaculaire des activités sociales du sujet ainsi que de ses contacts informels avec ses relations. La journée est centrée sur les activités de survie biologique (manger, éliminer, se laver, dormir), lesquelles activités sont séparées de longues périodes d’inactivité, dans l’attente de l’accomplissement de la prochaine fonction biologique. Nous assistons en fait à une mort sociale accompagnée de survie biologique.
La retraite – absorption sociale, où le sujet s’alimente copieusement et passivement des produits de consommation culturelle servis à la mode du jour. Dans cette formede de retraite, le temps qui n’est pas occupé par les fonctions biologiques est passé à l’aide du téléviseur, du poste de radio et des imprimés à grand tirage. Le sujet n’est pas socialement mort, mais il est trop suralimenté par les medias pour s’impliquer dans son existence individuelle.
La retraite – réinsertion par les loisirs, où le sujet demeure dans l’organisation sociale en remplaçant les activités professionnelles passées par des activités de détente : voyages, spectacles, magasinage, repas à l’extérieur,… La stratégie de réinsertion utilisée ici par le sujet consiste en fait à accentuer ses comportements de consommateur pour compenser la perte de ses comportements de producteurs.
La retraite – réinsertion du troisième âge, dans laquelle la cessation du travail professionnel permet au sujet de s’impliquer dans des activités relevant davantage de la production que de la consommation. Il s’agira le plus souvent de la production de services, notamment par diverses formes de bénévolat.

Le thème de ces deux dernières formes de retraite pourrait correspondre à l’expression populaire suivante : « on se tient occupé ».

La retraite – contestation, dans laquelle l’accent est mis non pas sur la réinsertion ou le maintien de l’insertion sociale, mais sur des stratégies collectives destinées à modifier l’organisation sociale, ou du moins à contribuer à en influencer l’évolution. Les sujets pourront militer dans des mouvements voués à une plus grande reconnaissance des droits des retraités, mais aussi à d’autres causes sociales comme la paix, par exemple.

Les facteurs influençant le type de retraite

Le type de retraite dans lequel le sujet se retrouve est directement influencé par la nature  et le niveau des ressources que ce sujet a pu se constituer durant sa vie passée. Il s’agit ici des ressources immédiatement disponibles, lesquelles ressources peuvent être de différents ordres : ressources intellectuelles, biologiques, sociales et matérielles. Il peut s’agir en d’autres termes du « capital » du sujet, que celui-ci peut dépenser sans effort. Par exemple, le sujet est relativement intelligent, il a un niveau de santé acceptable, il a plusieurs connaissances dans son réseau, et il a suffisamment d’argent pour se payer des sorties.

Le sujet possède un potentiel pour désigner les ressources du sujet (connaissances et habiletés sociales) qui sont mobilisables pour lui permettre d’avoir des projets et de les mener à terme. Il s’agit ici non plus d’utiliser sans effort ce qui est directement (travailleurs non spécialisés) avaient des scores très élevés sur l’index de la retraite – retrait, alors que seulement 26 %  des travailleurs situés dans des postes différents obtenaient les mêmes scores. Les facteurs en cause pour expliquer la fréquence des scores élevés sur l’index retraite – retrait étaient, par ordre décroissant : des tâches de simple exécution, une mauvaise santé, une faible scolarité, un faible revenu.

Quant au type réinsertion- loisirs, deux facteurs étaient principalement en cause, soit la possession d’une haut niveau de ressources (intellectuelles, biologiques, sociales et matérielles) et une bonne santé (telle que mesurée par l’âge biologique).

La très grande majorité des sujets ayant occupé des fonctions de décision et d’encadrement, et présentant ces deux caractéristiques (ressources et santé), soit 63 %, se retrouvent dans la réinsertion – loisirs.  Pour les sujets disposant de ressources financières mais n’ayant pas exercé un rôle d’autorité et n’ayant pas eu de contrôle sur leur travail, seulement 44 % d’entre eux se retrouvent dans la catégorie retraite – loisirs.

C’est donc dire que le type de travail exercé n’affecte pas seulement le niveau de ressources financières du sujet, mais qu’il marque aussi sa personnalité même.

Les facteurs socio-économiques

La dynamique du vieillissement telle que révélée par les contraste dans les styles de retraite confirme ainsi la théorie socio-économique, selon laquelle la société fabrique différents types de vieillards selon l’endroit où ces retraités étaient situés dans l’organisation du travail.

Ainsi, le fait d’être maintenus dans des tâches de simple exécution contribue à priver les travailleurs du peu d’autonomie et d’initiative qu’ils pouvaient encore avoir à la sortie de leur environnement familial et scolaire. Il y a en effet un principe qui dit que ce sont les habiletés qui sont les moins utilisées qui se perdent en premier.

La classe ouvrière ne reçoit que ce qui lui est nécessaire pour survivre et se reproduire comme classe. Parmi les sujets de cette classe, les loisirs ne sont le plus souvent qu’un moment de récupération physique; l’environnement physique est habituellement pollué par le bruit et les déchets industriels; les espaces verts et les équipements sportifs et culturels sont déficients, et les conditions inadéquates de logement ajoutent souvent au stress de la vie.

Tous ces facteurs se combinent pour laisser le travailleur non-spécialisé démuni au seuil de la retraite. Prématurément usé, dépouillé du sentiment de contrôler sa vie, prisonnier d’une environnement physique déficient par manque de ressources financières, son temps libre devient un temps vide, et il se retrouve dans la catégorie de retraite – retrait, dans la marginalité sociale et la perte de son identité psychologique.

Pour les sujets de la classe dominante, les perspectives sont exactement l’inverse. Ayant appris très tôt l’initiative et l’autonomie et les ayant développées par la suite dans le système du travail, ayant développé des ressources et des contacts et accumulé des biens matériels, ces sujets se retrouvent « naturellement » orientés vers la réinsertion – loisirs (consommation – loisirs (consommation) ou la réinsertion – troisième âge (créativité).

C’est ainsi qu’une réflexion sur le phénomène de la retraite peu devenir une occasion de revoir l’ensemble de la dynamique de l’organisation sociale et d’entreprendre de travailler « en amont » sur les conditions socio-économiques susceptibles de mener à la retraite – retrait.
Enfin, cette approche de la théorie socio-économique représente sans contredit une contribution importante à la compréhension du phénomène du vieillissement…

RD