Psychologie du vieillissement : les théories développementales (chap.8)
(Tiré du volume de Jean-Luc Hétu, intitulé « Psychologie du vieillissement »)
Que serons-nous devenus dans 10 ans ? dans 20 ou 30 ans ? Nos connaissances actuelles nous permettent d'esquisser certaines probabilités : notre force physique aura décliné sensiblement, nos capacités intellectuelles se seront légèrement affaiblies, notre acuité sensorielle aussi aura connu une certaine baisse.
Mais qu'arrivera-t-il à ce qui nous est le plus précieux, à ce qui constitue dans notre individualité propre, c'est-à-dire notre personnalité ? S'il faut en croire les tenants de la théorie de la continuité, nous n'aurons pas vraiment changé. Nous aurons encore la même approche de la vie et nous continuerons notre petit bonhomme de chemin.
En somme, nous n'aurons pas changé d'une façon spectaculaire, mais avec un peu de chance, nous nous seront développés beaucoup - selon la théorie d'Erikson.
Théories et modèles
Une théorie est un ensemble d'explications proposées pour rendre compte d'une série de phénomènes donnés. Une théorie essaie de mettre de l'ordre dans les faits qui sont connus relativement à une série de phénomènes, en formulant des lois ou des principes qui pourraient être soumis à la critique et à l'expérimentation.
À l'heure actuelle, il n'existe pas véritablement de théorie du développement humain, c'est-à-dire de théorie qui expliquerait d'une façon satisfaisante comment et dans quelle direction les humains changent en avançant en âge. On a vu qu'on pouvait même aller aussi loin que de se demander si les humains se développent effectivement en vieillissant.
À défaut de théorie, les gérontologues disposent cependant de « modèles », que le Petit Robert définit comme une représentation simplifiée d'un processus ».
Concernant le développement de la personnalité, il existe trois grandes catégories de modèles, soit les modèles organistes, les modèles behavioristes, et les modèles mixtes, qui empruntent des caractéristiques aux deux catégories précédentes.
Les modèles organistes
Les modèles organistes conçoivent le développement psychologique comme étant déclenché de l'intérieur, tout comme le développement physique. Or, la croissance physique se déroule selon différentes étapes : au stade de l'embryon, à l'enfance, à l'adolescence, etc. Il en ira de même au plan psychologique, ce qui donnera lieu au concept fondamental de stades, d'étapes ou de phases, dont la nature et le nombre pourront varier beaucoup, selon les modèles.
Ces modèles attribuent en général un rôle plus ou moins important à l'environnement, mais ce rôle n'est jamais déterminant. L'environnement physique et social peut stimuler ou ralentir le développement, mais là s'arrête sont rôle. Les modèles organistes partagent trois présupposés :
- Il y a des changements psychologiques qui tendent à se produire chez tous les humains;
- Ces changements ne s'expliquent pas par des changements dans l'environnement où ces sujets évoluent;
- Ces changements sont attribuables à la façon même dont l'organisme humain est structuré.
Les modèles behavioristes
Les modèles behavioristes classiques, pour leur part, font une équivalence stricte entre se développer et s'adapter. L'être humain n'est pas actif comme dans les modèles organistes, mais il est réactif, c'est-à-dire qu'il s'ajuste aux contraintes et aux possibilités de son environnement.
En d'autres termes, le changement ne prend pas sa source dans l'organisme du sujet, mais il est provoqué de l'extérieur du sujet, que ce soit par ses parents ou par les autres acteurs sociaux qui interagissent avec lui. Pour les modèles organistes, la personne psychologiquement adéquate et épanouie est déjà contenue dans l'embryon comme le chêne dans le gland. Pour connaître son développement complet, elle n'aura besoin que d'un environnement favorable, tout le gland aura besoin d'un sol fertile et humide et de soleil.
Pour les modèles behavioristes, par contre, c'est l'influence de l'environnement qui est déterminante, beaucoup plus que la « nature » du gland. L'humain est non seulement influencé mais il est déterminé autant par sa nature même que par les différents milieux dans lesquels il évoluera tout au long de sa vie.
Dès lors, se développer ne consiste pas à actualiser son potentiel ou à acquérir des structures internes rendant possible des performances. Se développer consiste plutôt à apprendre à s'ajuster à son environnement, c'est-à-dire à apprendre à éviter ce qui entrave son fonctionnement et à rechercher ce qui le facilite.
Ce concept d'apprentissage, maintenant devenu central chez les behavioristes, vient toutefois rendre un peu artificielle l'opposition entre les modèles dit « organistes » et les modèles dit « behavioristes ». Apprendre, en effet, c'est devenir capable d'agir sur son environnement pour pouvoir répondre à ses besoins personnels.
Les modèles mixtes
Les modèles mixtes voient le développement psychologique comme résultant à la fois du potentiel de l'organisme (comme dans les modèles organistes) et de l'environnement (comme dans les modèles behavioristes). Mais, il s'agit ici de l'environnement au sens large, ce qui peut inclure de la culture et du contexte historique dans lesquels le sujet évolue.
La source du changement dans ces modèles n'est plus ni à l'intérieur ni à l'extérieur à lui, mais elle est à situer dans l'interaction entre ce qui se passe à l'intérieur du sujet et ce qui se passe autour de lui. Le changement se produit alors par l'apparition d'une contradiction qui vient rompre un équilibre donné, et forcer l'évolution vers un nouvel équilibre... jusqu'à l'apparition del a contradiction ou de la crise suivante.
Les modèles mixtes ou dialectiques voient ainsi le changement psychologique ou la croissance humaine comme une suite de crises (tournants importants) survenant inévitablement lorsqu'un organisme humain changeant évolue dans un environnement social qui est lui aussi en mouvement.
Pour les modèles mixtes, se développer, c'est vivre une séquence de transitions, ou encore c'est surmonter une série de ruptures d'équilibre provoquées autant par les demandes de l'organisme que par celles de l'environnement.
Concevoir les crises comme des transitions, c'est introduire le concept de phases ou d'étapes dans le développement humain, car une transition implique un était stable avant et un état stable après. Les modèles mixte se caractériseront donc par une séquence d'apprentissages que les humains seraient censés réaliser à mesure qu'ils avancent en âge.
Le calendrier de Robert Havighurst
Un psychologue de Chicago (1948) a dressé un inventaire des principales tâches développementales qui sont mises à l'ordre du jour à mesure que le sujet avance en âge. Voici la liste qu'il a dressé pour les tâches qu'il assigne aux deux dernières étapes de la vie.
Tâches développementales à la maturité :
- Aider ses adolescents à devenir des adultes responsables et heureux;
- En arriver à devenir sensibilisé et engagé au niveau socio-politique;
- Atteindre et maintenir un niveau de performance satisfaisant dans son champ professionnel;
- Développer des activités de loisir appropriées à son âge;
- Apprendre à reconnaître son conjoint comme une personne plut^to que d'interagir avec lui sur la seule base de ses rôles;
- Accepter les changements physiologiques de la maturité et s'y ajuster;
- S'ajuster au vieillissement de ses parents.
Tâches développementales à la vieillesse :
- S'ajuster au déclin de ses forces physiques et de sa santé;
- S'ajuster à la retraite et à la baisse de revenus qui lui est associée;
- S'ajuster à la mort de son conjoint;
- Se reconnaître concrètement comme faisant partie des personnes de son âge (par exemple, ne pas faire comme si on était encore plus jeune ou déjà plus vieux);
- Adopter des rôles sociaux appropriés à son âge (pour compenser les rôles typiques de la maturité);
- Établir des conditions satisfaisantes de logement.
Enfin, certains gérontologues se plaignent de ne pas disposer d'un modèle théorique leur permettant de situer ce qui survient à la vieillesse dans le cadre de l'évolution de la personnalité sur l'ensemble de la vie. C'est ce qui la théorie d'Erikson est venue combler, en décrivant huit étapes qui s'enchaînent de la naissance à la mort, d'où le nom de « modèle de cycle de vie ».
RD
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