(Tiré du volume de Jean-Luc Hétu, intitulé « Psychologie du vieillissement »)
La
psychologie du vieillissement : la théorie socio-économique
- La théorie du désengagement nous dit en substance qu’en vieillissant les gens se retirent progressivement et que c’est correct.
- La théorie de l’activité nous dit qu’ils perdent leurs rôles mis qu’ils devraient demeurer actifs.
- La théorie de la continuité nous dit : dis-moi comment tu fonctionnes psychologiquement et je te dirai comment tu vieilliras.
- La théorie socio-économique vient nous dire pour sa part : dis-moi dans quel environnement tu as vécu et je te dirai de quoi ta retraite sera faite. Cette théorie s’intéresse à la façon dont la vieillesse est produite par la société.
Utilisant
l’analyse marxiste des rapports sociaux, cette théorie affirme que l’on
vieillit plus ou moins vite selon qu’on est pauvre ou riche, et que
l’expérience de la vieillesse est pénible quand on est pauvre et gratifiante
quand on est riche.
Pour les
tenants de cette théorie, si l’on veut comprendre quelque chose au phénomène du
vieillissement, il faut d’abord essayer de comprendre la dynamique de base des
structures sociales, étant donné que la vieillesse n’est que le point d’arrivée
et le résultat d’un processus social commencé bien plus tôt, « en amont ». La
théorie socio-économique serait ainsi une théorie de la continuité, mais de la
continuité sociale et non pas de la seule continuité psychologique.
Le concept
du vieillissement différentiel
C’est le
concept de vieillissement différentiel qui constitue le point d’encrage le plus
solide de la théorie socio-économique. Dans la réalité. Toutes les recherches
faites dans ce domaine nous disent en effet que les gens ne vieillissement pas
au même rythme, et que les sujets de la classe ouvrière s’ « usent »
sensiblement plus vite que ceux des classes supérieures.
Les
recherches sur le vieillissement différentiel
consistent dans un premier temps à mesurer le « degré d’usure » d’un
sujet en évaluant le plus précisément possible ses capacités
fonctionnelles : acuité visuelle et auditive, coordination motrice,
capacité de raisonnement, capacité d’ajustement, par exemple.
Ces mesures
sont ensuite réunies dans un score global, qui nous donne l’âge biologique du
sujet, correspondant en fait à son degré d’usure. C’est ainsi que l’on peut, en
analysant les caractéristiques d’une population donnée, déterminer l’écart
moyen entre l’âge biologique et l’âge chronologique. C’est ainsi qu’on constatera que l’âge
biologique moyen des travailleurs en manufacture ou des mineurs, par exemple,
est sensiblement plus élevé que celui des cols blancs.
Surveillissement
et mortalité prématurée
L’expérience
du survieillissement et la diminution de l’espérance de vie sont évidemment
deux phénomènes associés. En se basant sur l’année 1978, la répartition du taux
de mortalité sur l’Île de Montréal par des chercheurs ont fait confirmé une
fois de plus la théorie socio-économique : dans l’ensemble, les pauvres
meurent plus tôt (et par conséquent, vieillissent systématiquement plus vite et plus mal) que les riches.
En fait,
plus on est haut dans l’échelle sociale, plus le niveau d’instruction est élevé, moins on meurt de maladie coronarienne
(la première cause de décès dans la population) et des autres maladies comme
les cancers de la trachée, des bronches et des poumons, la cirrhose du foie
(dont l’alcool est directement responsable).
Plus
précisément, c’est la place que le sujet occupe dans l’organisation sociale du
travail (actionnaire, cadre supérieur ou intermédiaire, travailleur spécialisé.
Manœuvre ou préposé, chômeur,…) qui détermine la trajectoire de vie, qui
structure l’existence des différents acteurs sociaux. Les pratiques sociales
des personnes âgées expriment le plus souvent cette longue chaîne de
déterminismes sociaux qui a progressivement élaboré leurs contours.
Les pratiques de retraite
En 1970, une
recherche en France auprès de 1000 retraités de différentes classes sociales, a
permis de distinguer différentes pratiques de retraite :
La retraite – retrait, caractérisée par une baisse
spectaculaire des activités sociales du sujet ainsi que de ses contacts
informels avec ses relations. La journée est centrée sur les activités de
survie biologique (manger, éliminer, se laver, dormir), lesquelles activités
sont séparées de longues périodes d’inactivité, dans l’attente de
l’accomplissement de la prochaine fonction biologique. Nous assistons en fait à
une mort sociale accompagnée de survie biologique.
La retraite –
absorption sociale, où le sujet s’alimente copieusement et passivement des produits de
consommation culturelle servis à la mode du jour. Dans cette formede de
retraite, le temps qui n’est pas occupé par les fonctions biologiques est passé
à l’aide du téléviseur, du poste de radio et des imprimés à grand tirage. Le
sujet n’est pas socialement mort, mais il est trop suralimenté par les medias
pour s’impliquer dans son existence individuelle.
La retraite –
réinsertion par les loisirs, où le sujet demeure dans l’organisation sociale en
remplaçant les activités professionnelles passées par des activités de
détente : voyages, spectacles, magasinage, repas à l’extérieur,… La
stratégie de réinsertion utilisée ici par le sujet consiste en fait à accentuer
ses comportements de consommateur pour compenser la perte de ses comportements
de producteurs.
La retraite –
réinsertion du troisième âge, dans laquelle la cessation du travail professionnel permet
au sujet de s’impliquer dans des activités relevant davantage de la production
que de la consommation. Il s’agira le plus souvent de la production de
services, notamment par diverses formes de bénévolat.
Le thème de
ces deux dernières formes de retraite pourrait correspondre à l’expression
populaire suivante : « on se tient occupé ».
La retraite –
contestation,
dans laquelle l’accent est mis non pas sur la réinsertion ou le maintien de
l’insertion sociale, mais sur des stratégies collectives destinées à modifier
l’organisation sociale, ou du moins à contribuer à en influencer l’évolution.
Les sujets pourront militer dans des mouvements voués à une plus grande
reconnaissance des droits des retraités, mais aussi à d’autres causes sociales
comme la paix, par exemple.
Les facteurs
influençant le type de retraite
Le type de
retraite dans lequel le sujet se retrouve est directement influencé par la nature et le niveau des ressources que ce sujet a pu
se constituer durant sa vie passée. Il s’agit ici des ressources immédiatement
disponibles, lesquelles ressources peuvent être de différents ordres :
ressources intellectuelles, biologiques, sociales et matérielles. Il peut
s’agir en d’autres termes du « capital » du sujet, que celui-ci peut dépenser
sans effort. Par exemple, le sujet est relativement intelligent, il a un niveau
de santé acceptable, il a plusieurs connaissances dans son réseau, et il a suffisamment
d’argent pour se payer des sorties.
Le sujet
possède un potentiel pour désigner les ressources du sujet (connaissances et
habiletés sociales) qui sont mobilisables pour lui permettre d’avoir des
projets et de les mener à terme. Il s’agit ici non plus d’utiliser sans effort
ce qui est directement (travailleurs non spécialisés) avaient des scores très
élevés sur l’index de la retraite – retrait, alors que seulement 26 % des travailleurs situés dans des postes
différents obtenaient les mêmes scores. Les facteurs en cause pour expliquer la
fréquence des scores élevés sur l’index retraite – retrait étaient, par ordre
décroissant : des tâches de simple exécution, une mauvaise santé, une
faible scolarité, un faible revenu.
Quant au
type réinsertion- loisirs, deux facteurs étaient principalement en cause, soit
la possession d’une haut niveau de ressources (intellectuelles, biologiques,
sociales et matérielles) et une bonne santé (telle que mesurée par l’âge
biologique).
La très
grande majorité des sujets ayant occupé des fonctions de décision et
d’encadrement, et présentant ces deux caractéristiques (ressources et santé),
soit 63 %, se retrouvent dans la réinsertion – loisirs. Pour les sujets disposant de ressources
financières mais n’ayant pas exercé un rôle d’autorité et n’ayant pas eu de
contrôle sur leur travail, seulement 44 % d’entre eux se retrouvent dans la
catégorie retraite – loisirs.
C’est donc
dire que le type de travail exercé n’affecte pas seulement le niveau de ressources
financières du sujet, mais qu’il marque aussi sa personnalité même.
Les facteurs socio-économiques
La dynamique
du vieillissement telle que révélée par les contraste dans les styles de
retraite confirme ainsi la théorie socio-économique, selon laquelle la société
fabrique différents types de vieillards selon l’endroit où ces retraités
étaient situés dans l’organisation du travail.
Ainsi, le
fait d’être maintenus dans des tâches de simple exécution contribue à priver
les travailleurs du peu d’autonomie et d’initiative qu’ils pouvaient encore
avoir à la sortie de leur environnement familial et scolaire. Il y a en effet
un principe qui dit que ce sont les habiletés qui sont les moins utilisées qui
se perdent en premier.
La classe
ouvrière ne reçoit que ce qui lui est nécessaire pour survivre et se reproduire
comme classe. Parmi les sujets de cette classe, les loisirs ne sont le plus
souvent qu’un moment de récupération physique; l’environnement physique est
habituellement pollué par le bruit et les déchets industriels; les espaces
verts et les équipements sportifs et culturels sont déficients, et les
conditions inadéquates de logement ajoutent souvent au stress de la vie.
Tous ces
facteurs se combinent pour laisser le travailleur non-spécialisé démuni au
seuil de la retraite. Prématurément usé, dépouillé du sentiment de contrôler sa
vie, prisonnier d’une environnement physique déficient par manque de ressources
financières, son temps libre devient un temps vide, et il se retrouve dans la
catégorie de retraite – retrait, dans la marginalité sociale et la perte de son
identité psychologique.
Pour les
sujets de la classe dominante, les perspectives sont exactement l’inverse.
Ayant appris très tôt l’initiative et l’autonomie et les ayant développées par
la suite dans le système du travail, ayant développé des ressources et des
contacts et accumulé des biens matériels, ces sujets se retrouvent «
naturellement » orientés vers la réinsertion – loisirs (consommation – loisirs
(consommation) ou la réinsertion – troisième âge (créativité).
C’est ainsi
qu’une réflexion sur le phénomène de la retraite peu devenir une occasion de
revoir l’ensemble de la dynamique de l’organisation sociale et d’entreprendre
de travailler « en amont » sur les conditions socio-économiques susceptibles de
mener à la retraite – retrait.
Enfin, cette
approche de la théorie socio-économique représente sans contredit une
contribution importante à la compréhension du phénomène du vieillissement…
RD
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