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jeudi 3 novembre 2011

Le message de la Science sur l’homme, selon Jean Rostand



Jean Rostand, célèbre biologiste français, a publié en 1938, un texte sur l’Homme qui mérite que l’on s’y arrête sérieusement. Il l’a appelé : « LE MESSAGE DE LA SCIENCE ». On y retrouve l’essentiel de ce que la science expérimentale peut dire sur celui-ci si elle est fidèle à sa méthode.

« Comme tout animal supérieur, l’homme est un agrégat de plusieurs trillions de cellules, dont chacune représente un assemblage de molécules diverses. En fin de compte, il apparaît comme un édifice prodigieusement complexe d’électrons, qui doivent à la forme particulière de leur groupement le singulier privilège de pouvoir affirmer leur existence…C’est dans cette pellicule (l’écorce du cerveau) que se produisent les réactions chimiques et les transformations d’énergie qui donnent lieu à ce que nous appelons la conscience, et dont nous ne savons rien, sinon qu’elle est indissolublement liée à ces réactions et à ces transformations. C’est là que se préparent les plus hautes manifestations de l’esprit : le génie de Newton, les angoisses d’un Pascal….

Il semble bien du reste, que cette pensée ait pour seule fonction d’assister au jeu de la machine qu’elle a l’illusion de commander. L’acte dit volontaire se réduit vraisemblablement à une résultante de réflexes, et sans doute, l’homme qui réfléchit, qui calcule, qui délibère n’est-il pas moins assujetti dans la dernière de ses démarches au même titre que la chenille qui rampe vers la lumière ou que le chien qui répond par un flux de salive au coup de sifflet de l’expérimentateur. Les plus graves décisions morales, où l’homme attache tant de prix, apparaissent alors comme de purs effets des stimulations sociales, et quand il croit se soumettre librement aux impératifs sacrés qu’il croit s’être choisi, il n’est qu’un automate qui agit conformément aux intérêts du groupe dont il fait partie.

D’où vient l’homme ? Sa formation fut rigoureusement fortuite. Accident entre les accidents, il est le résultat d’une suite de hasards, dont le premier et le plus improbable fut la genèse spontanée de ces étranges composés du carbone qui s’associèrent en protoplasme…. Sa naissance ne faisait pas partie d’aucun programme cosmique. Les processus aveugles et désordonnés qui l’ont conçu ne recherchaient rien, n’aspiraient à rien, ne tendaient vers rien, même le plus vaguement du monde. Il naquit sans raison et sans but comme naquirent tous les êtres, n’importe où. La nature est sans préférence et l’homme, malgré tout son génie, ne vaut pas plus pour elle que n’importe laquelle des millions d’autres espèces que produisit la vie terrestre… D’une lignée animale, qui ne semblait en rien promise à un tel destin, sortit un jour la bête saugrenue qui devait inventer le calcul intégral et rêver de justice. Certes, à se souvenir de ses origines, il a bien sujet de se considérer avec complaisance. Ce petit fils de poisson, cet arrière neveu de limace, a droit à quelque orgueil de parvenu.

Un jour, en ce minuscule coin d’univers, sera annulée pour jamais la pitoyable et falote aventure du protoplasme. Aventure qui déjà, peut-être, s’est achevée sur d’autres mondes. Et partout soutenue par les mêmes illusions, créatrices des mêmes tourments, partout aussi absurde, aussi vaine, aussi nécessairement promise dès le principe à l’échec final et aux ténèbres infinies….

Tel est le message de la science. Il se peut qu’une science toute puissante réussisse, en définitive, à créer ce nouvel homme adapté à l’humain, satisfait de n’être que ce qu’il est, comblé par son destin étroit, guéri de tout rêve qui le dépasse. Mais il se pourrait aussi que l’humanité soit, dans son ensemble, incapable de soutenir la vérité de la science. Vérité ardue, accablante, oppressante… Parmi ses zélateurs eux-mêmes, il en est qui ne s’y rendent point sans détresse. Bien sûr, ils ne peuvent faire autrement que d’y rester fidèles, mais il leur arrive d’envier ceux qui ne sont point empêchés, par la nature de leur esprit, d’en concevoir une autre. »[1]
RD

[1] Source : « La vie et ses problèmes » 1938. Éditeur Flammarion.

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