Vivre la vie d'un Senior

jeudi 3 novembre 2011

Henrietta, l’immortelle, une première réussite?


En 1951, une jeune Américaine succombe à un cancer du col de l’utérus foudroyant. Les cellules de sa tumeur, utilisées aux quatre coins du monde, permettront à la recherche médicale d’effectuer des progrès colossaux. 

Si l’immortalité devait porter un nom, celui de Henrietta Lacks lui conviendrait à merveille. Cette jeune Américaine, décédée en 1951 à l’âge de 31 ans, a bouleversé le cours de la médecine. Mais pas de son vivant : c’est sa maladie, ou plus précisément la nature du cancer du col de l’utérus auquel elle a succombé qui a permis de donner un impressionnant coup d’accélérateur à la recherche médicale. Si elle lui a coûté la vie, la tumeur dont souffrait Henrietta Lacks a sauvé des millions d’êtres humains. 

Rebecca Skloot, une journaliste américaine, a consacré dix ans à la rédaction d’un livre (1) sur cette femme au destin exceptionnel, qui a fini ses jours dans la plus grande misère, alors qu’aujourd’hui encore, les cellules de sa tumeur – multipliées à l’infini – sont exploitées dans la plupart des laboratoires de la planète.

HeLa : des cellules miraculeuses

4 février 1951. Henrietta Lacks, qui a grandi dans les champs de tabac, se plaint depuis quelques mois d’une douleur au ventre devenue à présent insupportable. 

Jusqu’alors réticente à consulter un médecin, elle finit par céder à l’instance de son mari, Day, et accepte de se rendre à l’hôpital Johns Hopkins de Baltimore, situé à quelques dizaines de kilomètres de son domicile. Le seul établissement de la région, en fait, à soigner gratuitement les pauvres et à accueillir les gens de couleur. Howard Jones, le gynécologue qui la prend en charge, diagnostique un cancer du col de l’utérus, au développement fulgurant. 

Cette particularité attire l’attention du Dr George Gey, directeur, à Johns Hopkins, du laboratoire de recherches sur les tissus. Comme tous ses confrères à travers le monde, il tente vainement, depuis des années, de “cultiver” des cellules en éprouvette, afin de pouvoir les soumettre à des expérimentations. Le problème, c’est que ces cellules meurent rapidement. Sans en informer la patiente, il prélève une partie de la tumeur de Henrietta Lacks pour étude. Sans beaucoup de conviction, une laborantine place ces cellules cancéreuses en culture, et appose la mention “HeLa” sur les éprouvettes. Quelques jours plus tard, le Dr Gey, stupéfait, constate que les cellules non seulement ont survécu, mais se sont multipliées à un rythme vertigineux. 

En fait, elles sont immortelles : la lignée cellulaire HeLa était née. Henrietta Lacks s’éteint le 4 octobre 1951 dans la pauvreté et l’anonymat. Faute d’argent, cette mère de cinq enfants n’aura même pas droit à une pierre tombale !

Première percée : le vaccin contre la polio

L’annonce de la découverte du potentiel exceptionnel des cellules HeLa se répand comme une traînée de poudre dans la communauté scientifique internationale. Chaque laboratoire, chaque chercheur demande à en recevoir. Et parmi eux, Jonas Salk, biologiste à l’Université de Pittsburgh, qui annonce en février 1952 avoir mis au point le premier candidat vaccin contre la polio. Toutefois, il n’était pas envisageable de l’administrer “en routine” avant d’avoir démontré par des tests de grande ampleur son efficacité et son innocuité. Pour cela, il fallait cultiver des cellules sur une échelle industrielle, ce qui était jusqu’alors impossible. La lignée HeLa allait permettre de réaliser cette percée médicale décisive. La première d’une très, très longue série. Cancer, clonage, fécondation in vitro, virologie, génétique… : il n’est pour ainsi dire pas un domaine de la médecine qui n’ait pas bénéficié de l’héritage d’Henrietta Lacks. Pourtant, son nom restera inconnu de la communauté scientifique durant une vingtaine d’années, et du grand public bien plus longtemps encore. Ses descendants ne toucheront pas le moindre dollar alors que les cellules d’Henrietta ont bâti la renommée et la fortune d’un nombre incalculable de chercheurs et de laboratoires, privés ou publics. 

Le 9 mars 1973, la prestigieuse revue “Nature” publie la lettre d’un biologiste américain, qui demande : « Voici maintenant 21 ans que George Gey a développé les célèbres cellules HeLa en culture. Cette femme a véritablement atteint l’immortalité, à la fois dans les tubes à essai et dans le cœur des scientifiques du monde entier, car la valeur des cellules HeLa est inestimable. Pourtant, nous ne connaissons pas son nom ! » L’auteur, J. Douglas, fut submergé de réponses, suggérant Helga Larsen, Heather Langtree, et même l’actrice Hedy Lamarr. Jusqu’à ce que le nom d’Henrietta Lacks apparaisse enfin, et soit confirmé par les équipes de l’hôpital Johns Hopkins. « Les Lacks ont remis en cause tout ce que je savais de la foi, de la science, du journalisme et de la question raciale », écrit Rebecca Skloot, dont le livre ne raconte pas uniquement la découverte de la lignée HeLa et ses répercussions scientifiques, mais s’intéresse au contexte de l’époque et à la manière dont la famille Lacks a vécu – génération après génération – l’appropriation, pour ne pas dire la confiscation, des cellules miraculeuses d’Henrietta. La question, évidemment, reste de savoir pour quelle raison la lignée HeLa présentait ces propriétés spectaculaires. Il aura fallu longtemps avant de le déterminer, et constater qu’elles sont le résultat d’un croisement de particularités biologiques et de… circonstances fortuites. 

Avant Henrietta, les scientifiques avaient tenté de créer des cellules immortelles au départ de cellules saines. Ils n’avaient aucune chance : les cellules “normales” sont programmées pour mourir, et rien ne peut l’en empêcher. Les cellules cancéreuses, par contre, peuvent se diviser indéfiniment, en raison d’un mécanisme d’auto-régénération très spécifique. Le coup de génie – combiné au hasard – du Dr George Gey fut d’avoir mis en culture les cellules tumorales d’Henrietta Lacks ; dont la force de croissance était en plus phénoménale. Cette singularité a coûté la vie à la jeune femme, tout en lui promettant l’immortalité.

(1) “La vie immortelle d’Henrietta Lacks”, éd. Calmann-Lévy.

RD

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire