Plusieurs rêvent de voir un jour leur roman près de ceux
de Marie Laberge en librairie ou de côtoyer Michel Tremblay au Salon du
livre. Mais pour y arriver, par où commencer?
Disons-le
d’emblée: on n’écrit pas un livre pour s’enrichir. Un sondage réalisé
auprès de 521 membres de l’Union des écrivaines et des écrivains
québécois (UNEQ) a démontré que le revenu moyen tiré de leur travail
d’écriture s’est élevé à 9169 $ pour l’année 2017. Les auteurs touchent
généralement 10 % du prix de vente par livre. Un best-seller équivaut à
3000 exemplaires écoulés au Québec. Cela signifie que, pour un livre
vendu 25 $, l’auteur gagnera alors 7500 $. Considérant le temps investi,
il n’y a pas de quoi s’assurer une retraite dorée! De plus, les maisons
d’édition québécoises traditionnelles publient environ 9000 titres par
année*, auxquels s’ajoutent quelque 60 000 nouveautés étrangères**. Il
faut donc un sacré bel alignement de planètes pour sortir du lot. Le
talent seul ne suffit pas!
À compte d’auteur
Les
succès littéraires sont rares, mais ils existent. Originaire de
Val-d’Or, Lucille Bisson, qui se décrit comme une «très très jeune
retraitée», séduit les ados avec ses séries Marianne Bellehumeur et Griffes Académie, publiées chez Boomerang. Avant
de se lancer en littérature jeunesse, elle a d’abord publié un recueil
de nouvelles à compte d’auteur aux Éditions de l’Apothéose, «qui se sont
occupées de tout, sauf de la direction littéraire et de la correction»,
précise-t-elle. Elle avait alors 51 ans.
Pourquoi
ne pas être passée par le réseau d’édition classique? «Je n’ai pas
trouvé preneur parmi la dizaine d’éditeurs à qui j’ai envoyé mon
recueil. J’ai décidé de me tourner vers cette compagnie, qui offrait un
service assez complet, parce que je ne voulais pas que ce premier livre
dorme dans mon ordi. L’expérience s’est avérée enrichissante et m’a
permis de réaliser le rêve que je caressais depuis l’enfance: avoir mon
nom sur un livre.»
De
nombreuses entreprises proposent ce type de forfait «clés en main». Le
prix varie beaucoup de l’une à l’autre, mais aussi selon le tirage. «On
paie pour tout, explique Lucille Bisson. L’avantage est que le profit
est plus intéressant.» En 2011, elle a déboursé 6 $ pour chacun des 600
exemplaires de son livre, qu’elle a ensuite revendu 20 $. Il y a
toutefois quelques bémols. «Aucune direction littéraire, aucun système
de distribution dans les librairies – du moins, au moment où j’ai publié
–, donc beaucoup de travail de promotion en perspective.»
En
2016, Radio-Canada a rapporté le cas de l’éditeur Marcel Broquet, qui
avait réclamé à une auteure plus de 11 000 $ pour publier 400
exemplaires de son manuscrit. Avant d’aller de l’avant, mieux vaut
effectuer des recherches. «Certaines maisons d’édition se spécialisent
dans la publication à compte d’auteur, c’est-à-dire que l’auteur doit
assumer une part des frais encourus, peut-on lire dans la Foire aux
questions du site de l’UNEQ. Bien que cette pratique ne soit pas
mauvaise en soi, elle doit résulter d’un choix éclairé. Le contrat de
publication à compte d’auteur – différent d’un contrat à compte
d’éditeur – doit tenir compte de votre contribution. Par exemple, le
taux de redevances doit être plus élevé (beaucoup plus que 10 %, en
fonction du montant qui vous est demandé), et la licence consentie à
l’éditeur devrait pouvoir être résiliée en tout temps.» Certains romans à
succès ont d’abord été publiés à compte d’auteur. L’exemple récent le
plus célèbre? Un certain Fifty Shades of Grey…
L’édition traditionnelle
Pour
publier chez un éditeur reconnu, il faut s’armer de patience, ces
derniers étant inondés de propositions. Il arrive toutefois que les
choses soient moins ardues qu’on ne le croit. À 54 ans, Michèle Hénen a
vu son premier roman devenir un best-seller. «Je travaille comme
designer graphiste. J’ai toujours aimé lire et un jour, j’ai eu envie
d’écrire pour dire aux jeunes que la vie est magique. Que le bonheur, on
le crée. Il m’a fallu trois ou quatre ans pour terminer mon premier
roman.»
Elle a fait parvenir son manuscrit à trois maisons d’édition,
dont les Éditions de Mortagne, qui ont décidé de l’éditer. «J’ai eu
énormément de succès au Salon du livre. Les lectrices m’ont demandé une
suite, puis une autre. J’en suis donc à mon quatrième. J’ai beaucoup de
chance!»
Sergine Desjardins a pour sa part décidé de se consacrer à l’écriture à l’aube de la cinquantaine. Son premier roman, Marie Major,
est inspiré de la vie de son ancêtre. Publié par Guy Saint-Jean
Éditeur, l’ouvrage a été réimprimé à quatre reprises et a reçu le prix
littéraire international indépendant Marguerite Yourcenar, décerné par
l’agence italienne Punctum, en 2013. Par ailleurs, sa biographie en deux
tomes de Robertine Barry, première femme journaliste
canadienne-française, lui a permis de remporter le prix Jovette-Bernier
en 2011. Pourtant, rien ne laissait présager un tel succès. «J’ai un
parcours atypique, écrit-elle. J’ai quitté l’école à 16 ans et exercé
différents métiers avant de retourner aux études à la mi-vingtaine.»
Ses
conseils à ceux et celles qui rêvent de suivre ses traces? «Le premier:
ne pas avoir trop d’attentes. Le deuxième: être discipliné. Comme l’a
conseillé Stephen King, les Muses doivent savoir où et à quelle heure
nous trouver: il faut être à sa table de travail pour que l’inspiration
soit ou non au rendez-vous.» Michèle Hénen abonde dans le même sens. «Il
faut écrire d’abord et avant tout pour se faire plaisir. Lire
énormément. Et écrire plusieurs fois par semaine.»
L’auto-édition
Ugo Monticone a publié son premier récit de voyage, Chroniques de ma résurrection,
dans une maison traditionnelle, les Éditions du CRAM, à l’âge de 22
ans. Au cours des 20 années suivantes, il a fait paraître six autres
ouvrages chez un éditeur classique, puis quatre en auto-édition. Plutôt
que de passer par une entreprise proposant des services «clés en main»,
il a préféré tout faire de A à Z. «Dans l’édition traditionnelle, une
fois le texte en Word envoyé, tout est pris en charge. Le bon côté de
l’auto-édition est qu’on reste totalement maître de son projet. On est
libre. On doit gérer la correction, la mise en page, la couverture,
l’impression, la distribution, l’impression, la vente… Le fait de
n'avoir à attendre après personne fait aussi que le processus est plus
rapide. Et puis, on a un taux d’acceptation de nos projets de 100 %!»
Avoir
déjà publié ne garantit pas qu’on le sera de nouveau. «C’est de plus en
plus difficile d’être publié aujourd’hui, constate l’auteur. Certaines
maisons reçoivent 800 manuscrits par année et en choisissent cinq ou
six. D’autres sélectionnent leurs livres pour les trois ou quatre
prochaines années. Avec l’auto-édition, on peut aller de l’avant sans se
soucier de ces barrières.»
Afin de se distinguer, Ugo Monticone mise sur l’innovation. Pour son projet Le vendeur de goyaves,
en réalité immersive, il a d’abord lancé une campagne de
socio-financement pour s’assurer de vendre au moins 200 exemplaires.
«Aucun éditeur ne voulait embarquer dans ce projet. C’est ce qui m’a
convaincu de me tourner vers l’auto-édition. J’ai ainsi pu garder le
contrôle sur tout. Finalement, Tryptique a décidé de publier la version
papier, mais j’ai gardé les droits sur le numérique.»
Son
expertise en auto-édition l’a amené à offrir des formations à quelques
reprises. «Le nerf de la guerre est de trouver comment faire en sorte
que le livre se démarque. Non seulement il faut faire notre promotion
nous-même, mais il faut aussi trouver une manière de sortir de l’océan
de gens qui ont publié. Le travail ne s’arrête pas quand on termine
l’écriture.»
Au final, peu importe le moyen choisi,
l’essentiel est de conserver intact le plaisir d’écrire. «Le plus
important est l’accomplissement personnel. Si je regarde l’ensemble de
ma carrière, j’ai été souvent très déçu par les ventes et les critiques.
Un moment donné, j’ai réalisé que j’écris d’abord parce que c’est ma
passion. Je suis fier d’aller au bout de mes projets et de les partager.
Il faut cesser de chercher la satisfaction chez les autres et revenir à
soi. C’est le cheminement qui fait que le projet en vaut la peine.»
* Source: BAnQ, chiffres de 2017.
** Source: La Presse+.
5 conseils d’une éditrice
Directrice à l’édition au Groupe Homme, Isabel Tardif recommande de garder en tête les éléments suivants:
• S’assurer que le sujet du livre est commercialisable.
«On reçoit beaucoup de biographies de gens qui ont eu des vies
extraordinaires ou très difficiles, mais qui ne sont pas "vendables" sur
le marché. Il faut donc faire la différence entre un processus
d’écriture cathartique, qui pourra intéresser notre famille et nos amis,
et un manuscrit qui touchera un public plus large parce qu’il offre un
angle nouveau qui pique la curiosité.»
• Envoyer un tapuscrit en Word, par courriel, et non un texte rédigé à la main.
«Il n’est pas nécessaire d’imprimer et de relier les pages, ce qui peut
coûter cher. Plusieurs maisons, dont la nôtre, n’acceptent plus les
versions papier pour éviter de devoir retourner la copie à l’auteur.»
• Mettre son ego de côté.
«Si le sujet intéresse une maison d’édition, il faut rester conscient
que le texte ne sera pas publié tel quel et qu’il sera retravaillé par
un éditeur. L’auteur doit se laisser guider par les professionnels qui
l’accompagnent, surtout s’il ne connaît rien au domaine de l’édition. Il
y a une différence entre se faire éditer par une maison d’édition et
faire une publication à compte d’auteur. Le texte et le visuel doivent
atteindre le niveau de qualité exigé par la maison d’édition. C’est un
travail d’équipe.»
• Tenir compte des limites budgétaires de l’éditeur.
«Ce dernier prenant le risque financier, l’auteur ne pourra pas exiger
de l’éditeur tous les paramètres qu’il aurait souhaités (une couverture
rigide, un nombre de pages exagérément élevé, un papier plus épais...).»
• Rester lucide.
«Publier un livre est un magnifique accomplissement, mais ce n’est pas
une source de revenus sur laquelle il faut compter, malheureusement!»
Où trouver de l’aide?
-> uneq.qc.ca:
le site de l’Union des écrivaines et écrivains québécois regorge
d’informations pertinentes: par exemple, comment faire publier un
manuscrit ou comment le présenter à un éditeur. On trouve aussi un
lexique des termes utilisés dans les contrats d’édition.
-> lulu.com: site populaire pour publier son manuscrit en version numérique.
-> bouquinbec.ca: site québécois offrant des services de coaching, de correction, de mise en page et d’impression.
-> wattpad.com: plateforme
où l’on peut partager ses écrits. Plusieurs auteurs reconnus
l’utilisent pour tester leurs histoires, dont la Québécoise Isabelle
Laflèche.
RD
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