Ça nous arrive à tous d’imaginer que le ciel va nous
tomber sur la tête. Certains événements de la vie, comme un pépin de
santé, un changement brusque dans notre routine ou tout autre ennui,
peuvent nous fragiliser et nous entraîner dans une spirale d’angoisse.
En tête de palmarès des éléments susceptibles de nous affoler se
retrouvent la mort, l’Alzheimer et les chutes, rapporte Sébastien
Grenier, psychologue et directeur du Laboratoire d'étude sur l'anxiété
et la dépression gériatrique (LEADER): «Ils constituent les trois
principaux sujets d’inquiétude chez les personnes âgées de 65 ans et
plus.» S’il est normal de se faire du mauvais sang à l’occasion, et ce
peu importe son âge, c’est plus dérangeant quand on s’imagine le pire en
permanence. Est-il possible d’apprendre à vivre l’esprit en paix?
Alerte!
Bien
entendu, nul n’est à l’abri de craintes après une expérience
désagréable, comme une vilaine chute. Mais comment savoir si cela
dépasse les bornes? Prenons l’exemple de Marie-France, la cinquantaine
vive. Même si l’idée d’une promenade hivernale sur la chaussée glissante
lui inspire un léger inconfort, elle enfile ses chaussures à crampons
et s’aventure à l’extérieur. «Bien sûr que je songe au fait que je
pourrais me faire mal, ça m’est déjà arrivé d’ailleurs il y a quelques
années. Mais je n’arrêterai pas pour autant de vaquer à mes occupations
quotidiennes, comme aller à l’épicerie ou simplement me dégourdir les
jambes.»
Aux yeux de sa sœur Monique, qui soufflera
sous peu ses 68 bougies, les sorties sont par contre toujours une
entreprise périlleuse. Convaincue qu’elle chutera et devra ensuite
rester alitée jusqu’à l’été, elle préfère tout compte fait s’abstenir de
mettre le nez dehors. «Je n’y peux rien, je m’imagine toujours en train
de marcher d’un pas tellement hésitant que j’en perds tous mes moyens
et que je tombe.»
Pourquoi la même situation
provoque-t-elle une réaction aussi différente chez les deux sœurs? Cela
repose en fait sur nos nerfs, selon Sébastien Grenier: «Devant un
élément stresseur, positif ou négatif, notre système d’urgence, le
système nerveux sympathique, réagit de façon à nous rendre capable de
gérer la situation.» C’est le cas de Marie-France, qui, en état d’alerte
orange, demeure prudente, sans néanmoins en faire tout un plat. Chez
Monique, toutefois, l’état d’alerte vire constamment au rouge: rien
n’arrive à endormir ses craintes ou à stopper le feu roulant de ses
pensées fatalistes. Elle souffre d’anxiété chronique, un trouble défini
par le DSM selon des critères précis et qui affecterait environ 7 % des
personnes âgées de 65 ans et plus selon une enquête menée il y a
quelques années. «Chez ces dernières, le même système est activé sans
qu’il y ait présence de danger réel ou de raison concrète, ajoute le
psychologue. Un rien risque alors de devenir anxiogène.»
Des impacts physiques
L’anxiété
affecte en plus la santé mentale et physique. «Le stress occasionné par
celle-ci risque de provoquer en nous une multitude de symptômes, tels
des tremblements, palpitations, étourdissements, augmentation du rythme
cardiaque ou problèmes de sommeil», poursuit Sébastien Grenier. On tombe
alors dans un cercle vicieux, puisque ces malaises font grimper notre
niveau d’anxiété. «Quand ça se met à "spinner" dans ma tête, mon cœur
bat la chamade et je ressens des picotements dans les doigts, confie
Monique. Je me dis alors: "Ça y est, la crise cardiaque me guette!"»
L’anxiété
est doublement redoutable, car elle peut aggraver certaines maladies
déjà existantes, dont le diabète, l’arthrite ou les troubles
respiratoires et cardiaques. Sans compter qu’elle joue parfois des tours
à notre mémoire et constitue un facteur de risque pour des troubles
cognitifs, notamment l’Alzheimer. «Les pertes de mémoire liées au
vieillissement sont tout à fait normales, observe Sébastien Grenier.
Perdre ses clés, par exemple, ne devrait pas nous déranger outre mesure.
La présence de stress, d’anxiété et de dépression peut toutefois
amplifier les oublis.» Nos rapports aux autres s’en trouvent également
affectés, puisqu’on tend à se couper du monde extérieur quand l’angoisse
jette une ombre sur notre vie: «Une personne anxieuse fera tout pour
éviter une situation qu’elle juge stressante.»
Choisir sa solution
Comment
s’y prendre quand on veut se défaire de nos démons intérieurs? On peut
expliquer notre situation à notre médecin, qui nous prescrira alors
peut-être un calmant ou un antidépresseur afin de réduire notre niveau
de stress. Une autre option serait de se tourner vers la psychothérapie.
Le laboratoire d’étude que dirige Sébastien Grenier sert justement à
démontrer l’efficacité de celle-ci: «Par exemple, dans le cas d’une
personne ayant une peur excessive de tomber sans qu’une condition
physique justifie cette crainte, on adopte une approche thérapeutique
basée sur la gestion de ses émotions et l’entraînement en gymnase dans
le but d’améliorer son équilibre et sa force musculaire.»
Par
ailleurs, entamer une thérapie cognitivo-comportementale permettrait
d’apprendre ce qu’est l’anxiété, son fonctionnement, ses conséquences
ainsi que différentes stratégies visant à une meilleure gestion de nos
émotions, «comme la respiration par le ventre, le yoga et des techniques
de détente, telle la relaxation progressive de Jacobson, qui consiste à
contracter puis décontracter des muscles précis du corps.» On apprend
aussi à déterminer si notre pensée initiale par rapport à une situation
donnée est bien fondée, et à remplacer nos pensées anxieuses par des
pensées aidantes. «Ce qui ne veut pas dire non plus de voir la vie en
rose, nuance le psychologue. On encourage la pensée réaliste: par
exemple, au lieu de se dire qu’on va tomber en sortant, on se promet
plutôt de faire attention, d’utiliser notre canne au besoin ou de mettre
des crampons s'il y a de la glace.»
Comment soutenir un anxieux?
On demeure attentif à tout changement de comportement.
Chez
certains, l’anxiété s’accentue au fil des années. Il n’y a pas d’âge!
«Une personne aînée anxieuse l’aura probablement été toute sa vie,
observe Sébastien Grenier. Quand une personne semble devenir nerveuse et
stressée du jour au lendemain, on se dit souvent que cela doit être lié
au vieillissement. Or, ce n’est pas forcément le cas.» Un parent enjoué
rendu brusquement amorphe ou irritable doit poser question: certaines
personnes âgées ont tendance à somatiser l’anxiété. «Elles ne diront pas
qu’elle sont anxieuses, ça ne fait pas partie de leur vocabulaire, et
on ne parlait pas de cette condition avant. Elles évoqueront plutôt des
maux de tête ou de ventre.»
On rassure et on dédramatise,
même
si ce n’est pas facile de convaincre un parent ou un ami pour qui le
moindre souci prend des proportions énormes! «Quand ça dérape chez
Monique, c’est comme tenter d’arrêter un train qui roule à pleine
vapeur», raconte Marie-France. Encourager la personne à voir les choses
autrement ou lui présenter une solution concrète s’avère parfois d’un
grand secours. À un parent âgé convaincu que sa chambre en résidence
prendra en feu pendant la nuit, on peut suggérer, par exemple, de
vérifier les détecteurs de fumée avant l’heure du coucher, ou d'en
parler avec les responsables de l’établissement pour trouver une
solution qui l’aidera à dormir l’esprit tranquille.
On s’interroge sur son vécu.
Un
traumatisme, comme un déménagement, une maladie ou le deuil d’un être
cher, peut avoir été l’élément déclencheur. On prête alors une oreille
attentive à la personne, tout en l’encourageant à rechercher un soutien
extérieur si le problème persiste.
On incite à consulter sans bousculer.
Plusieurs
demeurent sceptiques quant aux bienfaits de la psychothérapie.
«Celle-ci est pourtant de courte durée: 10 à 12 rencontres suffisent à
changer une vie», avance Sébastien Grenier. Les thérapies de groupe
aussi sont bénéfiques. «Les gens se rencontrent, se font des amis, ce
qui aide à briser l’isolement.»
On se montre prévoyant.
Si
jamais le comportement d’une personne anxieuse devient dérangeant,
voire dangereux (en cas d’oublis, comme celui d’éteindre le four), on
contacte son médecin ou le CLSC pour obtenir de l’aide et des
informations. «Comme certains symptômes d’un trouble anxieux (perte de
concentration, fatigue, irritabilité, inquiétude excessive)
s’apparentent à ceux découlant d’un malaise physique, mieux vaut faire
évaluer la personne par un spécialiste, conseille le psychologue. Un
neuropsychologue sera en mesure de déterminer s’il ne s’agirait pas
d’une maladie neurodégénérative ou cognitive.»
Les bonnes ressources
•
Laboratoire d'étude sur l'anxiété et la dépression gériatrique (LEADER)
Pour obtenir de l’information, entre autres sur les études menées par
le Laboratoire auxquelles il est possible de participer: (514) 340-3540,
poste 4788 ou à laboleader.ca.
• Centre AvantÂge de
l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal (IUGM) On y tient des
conférences, formations et ateliers sur la santé et le vieillissement. À
surveiller puisque certains ateliers proposent d’apprendre à gérer le
stress: (514) 340-2800, poste 3139 ou à iugm.qc.ca/avantage
• Phobies-zéro Infos, ressources et ligne d’écoute: 1 866 922-0002 ou à phobies-zero.qc.ca.
• Revivre Infos, ressources et ligne d’écoute: 1 866 738-4873 ou à revivre.org.
•
On peut aussi s’informer auprès de son CLSC pour trouver un atelier de
gestion de l’anxiété ou un groupe de soutien dans sa région.
RD
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