Silence les vieux!
Y-a-t-il une place spécifique
pour les plus anciens d’entre nous ? Devons-nous les condamner au désoeuvrement
et à la solitude, alors que l’on exalte les vertus de la longévité ? Que voilà
un troublant paradoxe, selon Maryse Wolinski !
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L’isolement et l’inaction, que
vivent encore un grand nombre de nos aïeuls, conduisent à l’angoisse.
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La maison de retraite, certes,
c’est mieux que l’hospice d’hier, ce n’est peut-être pas non plus la meilleure
des décisions. Parce que l’on y est isolé des autres générations et que l’on
n’est pas assez actif. Pourquoi ne pas imaginer d’intégrer les plus âgés
d’entre nous au cœur de la société et non de les mettre à l’écart? C’est une
question fondamentale à se poser. C’est ce qu’a tenté de faire avec succès le
maire d’une petite commune de Lot.
La solution mise de l’avant par le maire de
Mauroux en 2003
Depuis longtemps, Guy Delbès,
maire de Mauroux, s’insurgeait devant les conditions de vie de ses concitoyens
âgés. Dans le village, 23 % de la population avait plus de 70 ans en 2003. Ils
sont le plus souvent seuls, pauvres et plus ou moins handicapés. Une idée germe
au conseil municipal : des familles accueillent bien des enfants, pourquoi
pas des vieux. Le maire étudie le problème et finit par concevoir une
organisation qui, avec le temps, va s’avérer idéale. Il crée Le Jardin des
aînés, un ensemble constitué de groupes de deux maisons mitoyennes
afin que les familles s’entrouvent et se suppléent si besoin est. Une idée enthousiasmante, solidaire et qui
génère des emplois.
De toutes petites communes choisissent de
privilégier l’accueil familial pour leurs ressortissants très âgés[1]
(Source :
Article de Dorothée
MOISAN (AFP))
Trop petites pour pouvoir
prétendre à une maison de retraite, certaines communes rurales organisent
elles-mêmes l’accueil familial des personnes âgées, formule intermédiaire entre
l’aide à domicile et les établissements spécialisés. Guy Delbès, le maire de Mauroux,
petit village lotois de 420 habitants, a été le plus fervent promoteur des
"Jardins des Aînés", un hébergement de proximité, ouvert le 1er
novembre 2003, où deux familles d’accueil accueillent chacune, dans deux
maisons mitoyennes, jusqu’à trois personnes âgées.
La famille loue le 1er étage
tandis que les personnes âgées disposent chacune d’une chambre avec sanitaires
au rez-de-chaussée, ainsi que d’une salle commune. Ce sont elles qui rémunèrent
l’hôtesse, à hauteur d’environ 750 euros par mois et par pensionnaire, soit
beaucoup moins que dans une maison de retraite.
S’inspirant d’expériences
similaires, la mairie a décidé en 1999, avec le concours d’une société HLM et
du conseil général, d’acquérir un terrain et de faire construire une résidence qu’elle
gèrerait elle-même.
Tous originaires du coin,
Raymond, Martou, Marie et Yolande en sont les premiers locataires. "Je
suis venu ici parce que je suis tout seul. En plus, j’avais des escaliers chez
moi et je n’y vois pas clair", explique Raymond, 88 ans. De l’autre côté
de la table, Léa, 6 ans, feuillette "Le Livre de la Jungle", tandis
que sa sœur Emma, 3 ans, gesticule bruyamment. "Elles viennent nous
distraire", s’amuse Martou. "Ça apporte autant aux enfants qu’à
eux", assure Véronique Alberto, la mère des deux fillettes, recrutée par
la mairie pour assister les pensionnaires, assurer leurs repas, ainsi que
l’entretien du linge et du logement.
"Ils vont chercher les
enfants à l’école, les gosses leur disent papy : ils n’en ont jamais tant
vu !", s’amuse Guy Delbès. Outre le mélange des générations, les
"Jardins des Aînés" présentent l’atout d’associer deux familles
d’accueil, leur permettant de se relayer quand l’une d’elles part en congé et
d’alléger ainsi leur tâche. Garante du projet
Pour Étienne Frommelt, président
de l’association Famidac, il est "souhaitable que les mairies favorisent
l’accueil familial". Lorsqu’on place en maison de retraite une personne
encore relativement "valide et éveillée", on voit son état décliner dans
les 15 jours, alors que plongée dans le bain familial, elle est stimulée et sa
santé maintenue, estime-t-il.
"Dans un département âgé
comme le Lot, les structures existantes ne suffisent pas à répondre à la
demande et une telle solution nous soulage", renchérit le directeur de la
maison de retraite de Puy-L’Evêque, à une dizaine de kilomètres de Mauroux.
Pour Joël Palma, "cette formule s’adresse à des personnes qui ne sont pas
trop dépendantes, mais elle permet de maintenir la personne âgée dans son cadre
de vie habituel tout en lui offrant le confort social et sanitaire".
Pour le conseil général, il
s’agit d’"encadrer" l’accueil familial, parfois terni par des
histoires de maltraitance. Selon le secrétariat d’État aux personnes âgées, qui
"aimerait voir se développer l’accueil familial", quelque 9.000
familles accueillent aujourd’hui 12.000 personnes âgées ou handicapées.
La différence, dit-on au conseil
général, c’est qu’ici "la mairie est garante du projet" : c’est
elle qui gère le dispositif et recrute les familles, s’assurant de l’expérience
gérontologique et des qualités humaines de l’hôtesse. C’est aussi elle qui
prend le risque d’être poursuivie en cas de difficultés entre l’accueillant et
l’accueilli, fait toutefois remarquer M. Frommelt.
Le
logement des personnes âgées en France : un vrai problème
La population des 85 ans et plus
pose de gros problèmes d’accueil : de 200.000 personnes en 1950, elles
étaient 1.250.000 en 2000 et dépasseront les 2 millions en 2020 !
"On reçoit parfois des
personnes âgées dont l’état de santé ne justifie pas un séjour prolongé, mais
dont les familles ne veulent plus s’occuper après : j’ai vu des familles
s’éclipser à la sortie d’un parent !" dit le Dr Michel Cavey
(...).
Aujourd’hui, plus de dix mille
établissements publics et privés accueillent 650.000 personnes âgées. Le prix
moyen est de 1.200 euros/mois (de 800 à 4.000 euros/mois). Le reste de la
population âgée vit seul ou en famille.
Ici,
c’est un lieu de rires, d’échanges et d’amour
(Auteur : Katja Hunsinger,
MAXI n° 940 (du 1er au 7 Novembre 2004) – extraits)
Au jardin des aînés, personne
n’est en reste : tout le monde s’occupe en participant à cette vie de
famille pas comme les autres.
"Regarde !"
Claire, 12 ans, montre fièrement le scoubidou aux fils en plastique rose et
rouge qu’elle vient de tresser à Yolande, sa "copine". "C’est
beau... Tu travailles drôlement bien, dis donc !" admire sa complice,
sagement assise sur la terrasse ombragée. D’autres enfants chahutent non loin
de là, et Yolande les regarde en souriant : peut-être a-t-elle envie de
les rejoindre ? Après tout, ce n’est pas parce qu’on a 76 ans que l’on
doit rester sage comme une image !
À côté, à la grande table ronde,
les "garçons" tapent le carton. David, Raymond et Marc totalisent à
eux trois ... 258 ans ! Henriette, une autre pensionnaire, les interrompt
pour leur demander s’ils n’ont pas vu le journal, "son" Sud-ouest...
"Eh, vous savez bien que nous, c’est plutôt la Dépêche du midi", dit
Raymond avec son accent chantant... "Ah, vous alors !" rigole
gentiment Henriette qui, du haut de ses 89 ans, repart à la chasse au journal.
Au Jardin des aînés, on peut dire que
l’ambiance est... bon enfant !
Comment ça fonctionne ?
On est loin, en effet, du quotidien
d’une maison de retraite... Sans doute parce qu’ici ce sont trois générations
qui cohabitent sous le même toit. Le petit bourg de Mauroux, dans le
Lot-et-Garonne, est d’ailleurs devenu avec ce projet pilote un modèle pour
toute la France !
L’idée originale : deux familles d’accueil vivant au premier étage
de deux maisons adjacentes. Au rez-de-chaussée de chacune : trois chambres
confortables, destinées à des personnes âgées, les femmes d’un côté, les hommes
de l’autre. Logées à l’étage, les maîtresses de maison s’occupent des repas
(vin de table obligatoire : on n’est pas très loin de Cahors !), du
linge, veillent aux médicaments à prendre et distribuent des petites tâches à
exécuter...
Ainsi, dans la "maison des
garçons", Véronique a chargé David, un ancien maçon venu d’Italie après la
guerre, 89 ans, et Marc (que tout le monde appelle Martou), 80 ans, d’aller
chercher le pain tous les matins... "Ils participent également au
jardinage, ajoute cette mère de famille de 37 ans. Le week-end, il leur arrive aussi
de bricoler avec mon mari et Raymond, ancien agriculteur, fait de la
vannerie : il a fabriqué des corbeilles pour tout le monde !"
En cas de problème, Véronique a
une sonnerie à côté de son lit : "S’il arrive quelque chose, je n’ai
que l’escalier à descendre, je suis à leur chevet en trente
secondes !" dit-elle, très mère poule... Mais le plus touchant, c’est
sans doute comment ses filles, Emma et Léa, 5 et 7 ans, ont su conquérir ces
trois "vieux messieurs" ! "Ce matin, raconte Raymond, c’est
Léa qui a ouvert mes volets : quel plaisir de voir sa petite frimousse me
dire bonjour ! Et puis, quand elle est partie en vacances avec sa famille,
elle m’a donné quinze petits cailloux : "C’est le nombre de jours
qu’on sera pas là", qu’elle m’a dit !
(...) "Moi, j’aime bien
jouer au Scrabble avec eux, raconte la petite Claire. Ils m’apprennent plein de
mots inconnus, ce que ça veut dire et comment ça s’écrit !" De leur
côté, les seniors sont ravis que cette petite jeunesse emplisse leurs journées
de questions, de rires, de jeux... et même de bêtises !
"Vous savez, dit David avec
simplicité, quand on est vieux, les journées sont parfois longues. On pense au
passé et, il faut bien le dire aussi à la mort... Mais ici, moi je pense à la
vie !"
D’autre part, le séjour au Jardin
des aînés coûte moitié moins qu’une maison de retraite classique !
"En tout, ça [leur] revient à 700 euros mensuels par personne, précise
Véronique. Et même si pour me faire enrager ils m’appellent parfois
"patronne", c’est moi qui suis à leur service ! Eux n’ont qu’à
se laisser cajoler, et je le fais de tout mon cœur..."
Mais bien sûr, pour ça, il faut
que les pensionnaires aiment les enfants ! "Une fois. raconte
Sylviane, nous avons accueilli une dame qui les détestait : elle les
chassait avec sa canne ! C’est simple, on l’appelait Tatie Danielle’’...
Inutile de dire qu’elle n’a pas fait long feu chez nous !"
C’est "mamie" Henriette
qui l’a remplacée et, avec elle, le sourire est revenu... Sa fille, Anne-Marie,
qui passe lui faire un coucou tous les deux jours, explique : "Maman
est tombée il y a un an. Elle ne pouvait plus vivre seule... Ici, Sylviane
s’occupe bien d’eux. On peut passer quand on veut, et comme on n’habite pas
très loin, le dimanche, on l’emmène déjeuner chez nous... Des maisons de
retraite, j’en ai vues : les pensionnaires n’ont plus l’impression d’être
des vraies personnes, on les traite comme des enfants !"
Et d’ajouter, avec un regard
plein de tendresse pour sa mère : "Je suis rassurée de la savoir
ici.. ." On ne pourrait trouver meilleur certificat pour le Jardin des
aînés !
Un
modèle qui fera école
À Mauroux, village de 430
habitants niché dans les vignes au-dessus du Lot, le conseil municipal s’est
attaqué au problème des maisons de retraite trop pleines, en créant des logements
spécialisés ou deux familles d’accueil hébergeaient de trois à six seniors. Un
projet soutenu par les HLM locaux, l’État, le Conseil général et la Mutualité
sociale agricole du Lot.
Les familles d’accueil, recrutées
sur appel d’offre, sont logées (en location) au-dessus des pensionnaires dans
un F4. Ça marche si bien, constate Monsieur le maire, que nous projetons de
construire cinq autres maisons d’accueil." (...)
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