Voici deux articles très intéressants qui viennent de paraître dans un grand journal du Québec, La Presse et qui témoignent d'un changement d'attitude des Seniors face à la retraite et au vieillissement.
(Article de Louise Leduc, la Presse, 15 janv. 2013)
On n'a plus les «vieux» qu'on avait
Le culte de la performance gagne les
personnes âgées, au grand dam de celles qui n'ont aucune envie d'une
retraite au grand galop. A-t-on encore le droit, quand on est vieux, de
se bercer tranquillement?
«Je ne cours pas, je ne joue pas au
tennis, je n'ai aucune envie de faire le tour de la planète et non, je
ne me lèverai pas de bonne heure le matin pour aller marcher au centre
commercial. J'ai été une super infirmière, je n'ai pas le goût d'être
une super vieille.»
À 69 ans, Ginette Martel se sent
fatiguée. Elle a envie de flâner, de se lever vers 10 h si ça lui
chante. L'ennui, c'est qu'elle se sent de plus en plus marginale. «Il y a
ma coiffeuse qui continue à travailler à temps plein à 65 ans, en plus
de marcher tous les jours et de jouer aux quilles. J'ai une amie de 65
ans qui court, qui joue au golf et au tennis. Moi, je ne crois pas que
l'on vit plus vieux en bougeant davantage. Ma mère a vécu longtemps et
je l'ai vu couler ses vieux jours en restant tranquillement à la
maison.»
S'il n'y avait que l'entourage! Mme
Martel ne se reconnaît pas non plus dans les personnes âgées qu'elle
voit à la télévision. Comment font-elles, les Janette Bertrand, Denise
Filiatrault et Monique Mercure de ce monde, toutes exceptionnelles de
vitalité?
En même temps, Mme Martel ne cache pas
être plutôt trompe-l'oeil, elle aussi. Non, on n'a plus les «vieilles»
qu'on avait. «On cherche à demeurer coquette, on s'habille jeune. Nos
proches ne réalisent donc pas qu'on vieillit quand même. Ils ne
comprennent pas que non, ça ne nous tente pas de conduire seules,
l'hiver, jusqu'en Gaspésie.»
Le magazine Le Bel Âge, avec ses
chroniques sur les crèmes antirides, sur la lutte aux varices et sur les
liftings, illustre combien vieillir, c'est de l'ouvrage.
«Dans les sites de rencontre, les femmes
qui cherchent un compagnon se font dire de ne jamais révéler qu'elles
ont plus de 60 ans, relève Mme Martel. Avant, les vieux qui sortaient
avec des petites jeunes, ça se voyait à Hollywood, mais là, on dirait
que ça nous rattrape. Prenez Jean-Pierre Ferland qui sort avec une femme
de 40 ans!»
Sylvie, qui préfère taire son nom de
famille, le constate aussi. «Mon père, qui a 90 ans et qui jouait au
tennis jusqu'à récemment, sort avec une femme qui en a 58. Il a toujours
eu l'air jeune, et il a d'ailleurs menti sur son âge quand il l'a
rencontrée. Et jamais, au grand jamais, il n'aurait flirté avec une
femme de son âge!»
En bonne baby-boomer, Sylvie a bien vécu
- «j'étais une cliente assidue du Thursday's» - et admet s'être usée un
peu prématurément. À 64 ans, elle n'a plus la santé et elle n'a pas
envie de performer, «comme cette amie de Montréal qui fait des
triathlons à 75 ans».
Béatrice Picard, notre Marge Simpson
nationale, ne fait pas dans le sport, mais à 83 ans, elle foule toujours
les planches et il lui arrive d'abattre des semaines de travail de 60
heures. À l'écouter parler, ce qui l'épuise, c'est de tenir à bout de
bras certaines personnes âgées de sa connaissance qui n'ont pas le goût
de grand-chose. Mais qu'on ne se méprenne pas. «Quand je me lève,
certains matins, j'ai 108 ans!»
Le sociologue Richard Lefrançois,
professeur associé à l'Université de Sherbrooke, relève deux cas de
figure: ces dynamos qui n'arrêtent pas et ceux qui ont envie de se poser
un peu. «Il y a quelques années, je donnais une conférence sur
l'importance pour les personnes âgées de rester actives. Un homme a levé
sa main et il a demandé: «Mais est-ce correct de ne pas vouloir aller
au gym, de ne pas avoir le goût de faire trop de bénévolat et d'avoir
envie, souvent, de regarder tomber la neige?»»
Tant qu'on ne s'isole pas, qu'on ne
devient pas dépressif ou au contraire, qu'on ne s'illusionne pas sur sa
mortalité, chacun fait comme il le sent, rappelle M. Lefrançois.
Le problème, c'est qu'il y un «déni de
la vieillesse» très fort chez un grand nombre de baby-boomers qui
avancent en âge. «On ne veut pas vieillir, on refuse la mort, et les
personnes âgées dans les publicités et les magazines sont presque
toujours de très jeunes vieux.»
Dans le magazine Time, en 2009,
Catherine Mayer inventait le mot «amortalité» pour définir cette idée
voulant que la vieillesse soit «out» et que l'on dispose aujourd'hui de
tout un arsenal pour la combattre.
De fait, constate Richard Lefrançois,
«grâce à de bons soins de santé, on est vieux de plus en plus tard et de
moins en moins longtemps. Ce n'est pas comme à une certaine époque où
l'on se faisait vieux dès ses 55 ans. De nos jours, cela n'arrive
souvent que vers 75 ans... et l'on meurt parfois cinq ans plus tard».
Mais s'il vous plaît, docteur, pas trop ridé et en ayant résisté aux lois de la gravité?
(Article de Pierre Foglia, La Presse, 15 janv. 2013)
Deux sortes de vieux
On n'a plus les vieux qu'on avait,
disait ma collègue Louise Leduc. «Le culte de la
performance gagne les personnes âgées, au grand dam de celles qui n'ont
pas envie d'une retraite au grand galop.»
Ben là, Louise! Samedi, mettons. Samedi,
il faisait 10 au-dessus. Que vouliez-vous que je fisse? Que je tricote?
Que je me berce? Dix, un 12 janvier! Je suis parti à vélo,
évidemment: 55 kilomètres euphoriques avec, à chaque coup de pédale, le
sentiment enivrant de fourrer l'hiver jusqu'au trognon.
J'ai même ôté
mes gants. J'avais assez faim en arrivant à L'Oeuf! La tarte au sucre
avec de la crème fouettée dessus était assez cochonne...
J'ai demandé à Normandeau, le
propriétaire, si j'étais son premier cycliste de l'année. Je l'étais.
Ç'a été ma seule petite fanfaronnade de la journée.
Redites-moi ça, Louise? «Au grand dam de
celles qui n'ont aucune envie d'une retraite sur le grand plateau?» Moi
non plus, je n'étais pas sur le grand plateau, samedi. J'ai mouliné
tranquille tout le long. Ai-je dit qu'un pâle soleil diffusait une
lumière presque blanche et que les champs faussement avertis du
printemps se découvraient en larges cercles de terre brune? Qu'un chien
de ferme m'a couru après? Un vieux, les poils du museau tout blancs. Je
me suis arrêté. Il s'est approché: vieux nono, j'ai dit gentiment. Il a
remué la queue.
En passant, c'est pas juste les chiens
qui font ça. Essayez avec un vieux de votre entourage. Dites-lui
gentiment: vieux nono. Vous allez voir, il va remuer la queue.
Pourquoi sont pas contentes que je sois
allé rouler samedi, vos madames? Performance ou pas, en quoi cela
peut-il bien les chagriner? Moi, je ne les empêche pas de faire la
grasse matinée puis d'aller à tous petits pas jusqu'au salon de thé.
Non seulement ça ne me dérange pas
qu'elles aillent à tout petits pas, mais je les applaudis même très fort
de ne pas aller jouer au volleyball le mardi matin avec l'Amicale des
aînés de Laval. Voyez-vous, Louise, la grande différence, chez les
vieux, n'est pas entre ceux qui font de l'exercice et ceux qui n'en font
pas, mais entre ceux qui font partie d'un club, d'un groupe ou d'un
regroupement, d'une association, bref, entre ceux qui vieillissent en
troupeau et ceux qui vont seuls (ou par deux) et qui sont bien dans leur
solitude.
La différence entre les vieux n'est pas
entre ceux qui vont vers la mort à petits pas et ceux qui y vont en
courant, mais entre ceux qui y vont en autobus, le même autobus qui les
conduit au casino, à Sainte-Anne-de-Beaupré ou au théâtre d'été, et ceux
qui y vont seuls ou presque.
Mais pour être vraiment sérieux, Louise,
je vous dirais qu'il y a deux sortes de vieux: ceux qui sont malades et
ceux qui ne le sont pas. Les autres différences ne sont pas très
importantes.
En passant, vous direz à votre
sociologue, celui qui vous parle «du déni de la mort», qu'on est pas mal
tannés de l'entendre, celle-là. Les vieux ne nient pas la mort, ils y
pensent tout le temps, ils n'ont rien d'autre à faire.
Et non, à 72 ans, je ne fais pas de vélo pour la repousser. Je fais du vélo pour ne pas trop me faire chier en l'attendant.
RD
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