Qui suis-je en réalité? Voilà une grande question qui m’a préoccupé toute ma vie. Parce que je ne suis jamais resté le même. J’ai évolué tout le temps. Dès que le quotidien me laissait des moments de réflexion, c’est quelque chose que j’aimais travailler dessus. Savoir qui l’on est en réalité.
Ce qui me frappe d’abord, c’est la conscience d’être unique. Je suis entouré d’êtres humains qui sont comme moi et qui ont le sentiment d’être uniques. Je regarde les autres qui sont semblables mais différents de moi et je me demande qu’est-ce que je fais là. Ce moi que les autres regardent, je le sens unique dans toute l’éternité de ce qui va vivre sur cette terre et peut-être dans l’univers. Sur ce dernier point, je n’en sais rien pour l’instant.
Je me suis découvert graduellement quand j’étais jeune et aussi parce que mes parents m’ont donné un nom particulier et je suis devenu une personne qui s’est développée parmi les autres humains. C’est sûr que je suis un humain, mais je suis différent des autres humains. Mon existence est mienne et distincte des autres depuis ma naissance et dès ma conception.
Est-ce que cette personne qui suis moi a quelque chose de particulier qui fait en sorte que je ne devrais pas me confondre dans la foule des humains? Voilà une des grandes questions qui me vient souvent à l’esprit. Parce que, une fois mort, j’aurai existé et fait beaucoup de choses, dont la plupart auront un écho personnel qui sera perdu par le fait que je ne serai plus vivant, à moins de perpétuer mon souvenir par divers moyens comme l’écriture, les photos, les vidéos, les films, les écrits, les souvenirs de mes proches, etc.
J’ai longtemps senti ce besoin de me comprendre et de me situer dans cette existence qui m’a été donné. J’ai demandé à mon père quand j’avais 19 ans pourquoi il m’avait fait. Il n’a pu me répondre ou n’a pas voulu me répondre. Je l’ai appris beaucoup plus tard en l’écoutant parler et en recoupant ses paroles avec celles des autres personnes qui le connaissaient bien. C’était tout simplement parce qu’il voulait une famille comme la plupart des gens de son époque. Avoir une famille, cela signifiait prendre sa place dans la société, devenir adulte et donner un sens à sa vie. C’était donner une direction aux actions que l’on allait poser dans le futur. Mais, moi, qui suit né de ce geste et de cette décision, je ne suis que le résultat d’un acte de deux personnes qui se sont mariées et qui m’ont conçu comme moi je l'ai fait aussi en donnant naissance à deux enfants, un garçon et une fille.
Le résultat net, l’enfant qui est né et qui est devenu moi, c’est le fruit de la combinaison des gènes de mes parents et c’est là que mon identité personnelle et originale s’est réellement formée. Pour arriver à un tel résultat, je sais aujourd’hui, qu’il a fallu des générations d’hommes et de femmes qui me précèdent et qui m’ont transmis l’étincelle de la vie.
Finalement, j'ai fait la même chose en transmettant mes gènes, avec l'intention que mes enfants aient une vie longue et heureuse. Ai-je bien fait? Je ne suis qu'un humain parmi les autres et mes gestes ne sont qu’un don, celui de la vie.
Pourquoi ai-je le sentiment d’être unique dans l’univers et de ne pas savoir où je m’en vais dans la vie de demain? Les autres humains qui m’entourent sont en général moins préoccupés que moi par ces questions. Je les regarde vivre comme je me regarde vivre et je reste sur ma faim. J’ai besoin de savoir où mon moi et tout ce qui va avec s’en va. Je suis devenu un sexagénaire et je sens que je n’avance pas sur ce sujet. Pourtant, j’ai connu tellement de monde dans ma vie, que j’ai regardé dans les yeux avec l’espoir qu’un d’entre eux serait préoccupé par ces questions.
Je me rappelle avoir été préoccupé par ce genre d’interrogations dès mon enfance. Je voulais savoir pourquoi on avait des membres articulés, pourquoi sommes-nous là, dans cet environnement terrestre? Pourquoi avions-nous une pensée personnelle, distincte, des sens qui nous permettaient de regarder partout et de chercher des réponses à tout ce qui nous entouraient, à l’extérieur comme à l’intérieur de soi.
Et le temps s’est écoulé, sans que je puisse mieux saisir toute la portée de mon existence. C’est sûr que je me suis bien formé, que j’ai une culture étendue, que j’ai accompli toutes sortes de réalisations dans la société dans laquelle j’ai évolué. Mais, je n’ai jamais senti le besoin d’avoir de l’ambition, d’être un personnage important, plus grand que les autres. Ce qui ne m’empêchait pas de ne pas vouloir être moins que les autres. J’ai travaillé fort, respecté mes échéanciers, j’ai essayé de ne jamais nuire à mes semblables, sans que les autres ne comprennent bien mes façons d’agir.
J’ai compris une chose toute particulière : la liberté, le sentiment de disposer de soi-même à sa guise était accordé aux gens qui vivaient à l’intérieur du cadre des lois et qui maintenaient leurs appétits à l’intérieur de ces frontières. Ainsi, je n’ai jamais rien volé de ma vie, ne sentant pas le besoin de m’approprier le bien des autres. Pour moi, cette morale était facile à observer. Je ne sentais nul besoin de transgresser. Par conséquent, je n’ai jamais rien eu à faire avec la justice. Pas parce que j’étais parfait, mais parce que j’ai su corriger le tir quand je m’étais écarté de la bonne conduite.
Par contre, j’ai trouvé difficile de vivre dans la société des hommes. Surtout, ceux qui prétendaient avoir de la supériorité sur moi, qui voulaient me dominer et me soumettre à leur bon vouloir. Je voyais dans leurs yeux le peu de respect de leurs semblables et surtout, ce besoin de domination et de dominer d’autres hommes. Moi, j’avais des besoins d’accomplissements et de réussites de projets, jamais de prendre les autres en otages et de leur faire exécuter des tâches. J’aime bien occuper ma place dans la société et laisser aux autres leur propre place.
Cette façon de regarder les autres a été payante pour moi. J’ai toujours eu le regard interrogateur et même aujourd’hui, ma plus grande satisfaction est d’écouter les autres et d’apprendre ce que eux savent et que moi, je ne sais pas. Cette quête de soi, constamment présente chez moi, m’a permis de m’enrichir de l’expérience des autres et de toujours vouloir en savoir plus. Je déplore souvent de ne plus rencontrer beaucoup de gens qui peuvent m’en apprendre plus, surtout en profondeur sur les choses de la vie et de la survie.
Comme disait Hegel, le présent, c’est là que se situe l’éternité. Le passé n’est plus que des souvenirs et l’avenir, c’est l’aléatoire, pour ne pas dire le néant. L’instant présent est ce qui doit le plus nous préoccuper dans la quête de soi. Parce que c’est ce moment-là qui fait en sorte que l’on se sent vivre là, maintenant, avant de tourner son esprit vers quelques autres occupations, qui nous privent de la conscience de son existence.
Le sommeil est un répit, une pause, une renaissance quotidienne de son soi, qui réapparaît quand notre corps s’est libéré de ses toxines. Si nous le voulions, nous pourrions faire le compte de ces instants de conscience qui nous rendent conscients de notre existence personnelle, dans un univers d’hommes qui passent, vivent dans notre environnement terrestre et trépassent, sans que l’on ne recroise leur chemin de vie.
Combien de temps, ce moi unique va-t-il rester présent dans ma conscience, intact et toujours à la recherche d’un plus dans la quête de soi? Le plus longtemps possible, je l'espère.
RD
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