Article paru dans la Tribune, 25 avril 2020.
Alors que l’injonction à
sortir de notre « zone de confort » apparaît comme un crédo
incontournable pour tant de coachs en développement personnel et de
multiples cadres inféodés à l’idéologie managériale, le « Grand
confinement » nous incite davantage, comme le proposait déjà le Candide
de Voltaire, à « Cultiver notre jardin » au sens propre comme au sens
figuré.
La crise que nous vivons
actuellement, qui a fait sortir de leur zone de confort habituelle des
millions d’Occidentaux relativement favorisés à l’échelle de la planète,
incite à s’interroger sur le sens que prend cette formule en temps de
pandémie. En temps « normal », l’expression populaire « sortir de sa
zone de confort » vise à valoriser et à encourager les individus à se
dépasser afin d’améliorer leurs performances. Elle est largement
utilisée dans la sphère à la mode du développement personnel, mais
également dans le milieu de la gestion des ressources humaines. Dans le
premier cas, c’est la sphère privée qui est visée, alors que dans le
deuxième exemple c’est la sphère publique ou professionnelle qui l’est.
En fin de compte, l’objectif du dépassement de soi est présent dans
toutes sphères de nos vies.
Le discours hégémonique du
culte de la performance n’est pas sans effet sur nos sociétés. Certains
auteurs ont même parlé de « violence sociale et managériale » pour
décrire le phénomène.
L’injonction du « toujours plus » génère un
malaise, une impression de ne pas être à la hauteur, car lorsque l’on
veut fabriquer des « champions », on créé automatiquement des « perdants
». C’est l’ensemble de ce vocabulaire qui se retrouve d’ailleurs au
sein de la Nouvelle gestion publique mise en œuvre depuis de nombreuses
années par les gouvernements ici comme ailleurs. Inspiré du secteur
privé, ses maîtres mots sont : concurrence, innovation, efficacité, etc.
C’est également ce type de gestion vide de sens pour les services
publics qui était déjà dénoncé avant la tragédie qui se déroule
actuellement dans les CHSLD. C’est également ce type de gestion qui
amène à gérer le matériel comme le personnel en « flux tendu » et qui
montre ses faiblesses depuis le début de la crise sanitaire.
La
Nouvelle gestion publique apparaît donc aussi peu adaptée en temps
normal qu’en temps de crise. Dans les deux cas, le culte de la
performance tend à fragiliser les individus. S’il n’y a jamais eu autant
de problèmes de santé mentale, c’est peut-être que trop de personnes
ont suivi l’injonction de sortir de leur zone de confort! Ce paradigme
n’est-il pas allé trop loin en nous amenant à nous sentir coupables de
revendiquer simplement une amélioration de nos conditions de vie
quotidienne comme les préposées aux bénéficiaires et les organisations
qui les représentent le font depuis de trop nombreuses années. Il aura
malheureusement fallu attendre cette pandémie pour valoriser ce type de
revendications qui visent à réduire les inégalités subies par les
employé. e. s de tous les secteurs qui s’évertuent à améliorer notre
confort quotidien.
Plutôt que de se plier aux exigences du
dépassement permanent de soi pour « sortir de sa zone de confort »,
redéfinissons nos espaces de quiétude, de sécurité et de confiance en
soi et aux autres.
Profitons de ce moment de crise pour cultiver nos
zones de confort collectivement et individuellement, voyons-les comme un
aboutissement plutôt que comme un point de départ. Cette pause est un
moment privilégié d’introspection pour savoir quel sens donner à notre
quotidien au-delà des injonctions du marché… dont celle de sortir de
notre zone de confort.
AUTEURS :
Pierre Avignon, conseiller politique et syndical
Mélanie Bourque, professeure agrégée au Département de travail social, UQO
Gilles Bourque, professeur émérite de sociologie à l’UQAM
Margo Sicard, retraitée de l’enseignement collégial en histoire
RD
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