Il n'y a pas que les écoliers qui subissent de l'intimidation. Des personnes âgées en résidence en vivent aussi. Un phénomène méconnu et encore tabou.
UN GUIDE CONTRE L'INTIMIDATION
« Hé,
t’es pas vite là! Dépêche. On attend toujours après la même. » Des
aînés sont attroupés près de l’ascenseur de la résidence où ils
habitent. Ils s’impatientent, encore, devant la lenteur d’une résidente
qui se déplace à l’aide d’un déambulateur.
Cette
scène est fictive, mais elle pourrait bien exister dans la réalité. Il
s'agit d'un cas classique d’intimidation chez les aînés, selon Marie
Beaulieu, professeure titulaire de la Chaire de recherche sur la
maltraitance envers les personnes aînées de l’Université de Sherbrooke,
qui étudie la question.
Comme à l'école, des
cliques
peuvent se former dans les résidences pour personnes âgées, les
habitations à loyer modique pour aînés et les centres communautaires.
Des aînés sont mis à l’écart.Ça ne fait pas tellement d'années qu'on a réalisé que le phénomène de l’intimidation, ça ne se résumait pas juste au système scolaire ou aux enfants. Ça concerne aussi les adultes, les aînés.
Selon Marie Beaulieu, trois types de lieux ou de
contextes semblent plus propices à l’intimidation dans les milieux
collectifs fréquentés par les aînés : autour des ascenseurs (en période
d’affluence, à l’heure des repas, par exemple), à la salle à manger et
lors d’activités de loisir, particulièrement compétitives.
Les
jeux de pétanque, par exemple, on veut gagner. Le jeu de bridge, on ne
souhaite pas nécessairement initier quelqu'un qui est moins rapide que
nous
, explique-t-elle.
Afin de les informer sur cette problématique qui peut aller loin et les
isoler, l'Association québécoise de défense des droits des personnes
retraitées et préretraitées (AQDR), a lancé un guide pour mieux les
outiller. Le guide est disponible au www.aqdr.org.
Un phénomène méconnu
Aucune
étude québécoise n’a encore mesuré l’ampleur du problème. Mais selon
des études américaines, jusqu’à 60 % des aînés pourraient en avoir été
victimes, rapporte Marie Beaulieu.
La prévalence dépend des milieux de vie, dit-elle. Parce que j’insiste, ça peut se passer dans tous les milieux.
Pas seulement dans les résidences pour aînés.
L'Association québécoise de défense des droits des
personnes retraitées et pré-retraitées (AQDR) reçoit de plus en plus
d’appels de personnes âgées intimidées. Le regroupement a publié en 2018
un guide pour prévenir l’intimidation chez les aînés.
Les gens qui nous appellent ne disent pas qu'ils sont intimidés
, explique la présidente de l’AQDR Judith Gagnon. Ils disent qu'ils vivent certaines choses avec d'autres personnes. Mais on décode facilement que c'est de l'intimidation.
Intimidation ou maltraitance?
L’intimidation envers les personnes aînées s’inscrit principalement dans un rapport de force (p. ex., par la force physique ou par la force du nombre), de pouvoir (p. ex., une préposée est en situation de pouvoir sur les personnes dont elle prend soin) ou de contrôle (p. ex., un résident prend le contrôle de la télécommande pour imposer son choix d’émission dans le salon collectif), selon l'Institut national de santé publique du Québec.
On parle de maltraitance quand un
geste singulier ou répétitif, ou une absence d’action appropriée, se
produit dans une relation où il devrait y avoir de la confiance, et que
cela cause du tort ou de la détresse chez une personne aînée, d'après le
gouvernement du Québec.
La maltraitance se distingue de l'intimidation par le lien de confiance entre les personnes.
Le phénomène demeure méconnu et tabou. D'où
l'importance, croit Judith Gagnon, de donner des conférences sur le
sujet, comme elle le fait en ce soir de janvier dans le sous-sol d'une
église de la ville de Québec. Une cinquantaine de membres du club Les
aînés actifs d'Orsainville sont venus l'écouter avant leur soirée soupe
et bingo.
Le gros problème qu’il y a, quand il arrive de l’intimidation, c'est que le monde ne dénonce pas
, dit un aîné rencontré après la conférence. Ils s’en vont. Ils ne veulent pas se mêler là-dedans.
Pourtant, les conséquences de l’intimidation peuvent être graves.
Il y a des gens, un moment donné, qui ne sortent plus ou qui n'osent plus s'exprimer. Ils se sentent trop vieux. Ils se sentent gauches.
Certaines victimes font de l'insomnie et en viennent même à déménager, selon Marie Beaulieu.
Les formes d'intimidation
Intimidation verbale et écrite- Réprimander une personne en criant ou en jurant;
- Infantiliser une personne aînée;
- Faire des remarques sexistes, homophobes ou racistes ;
- Se moquer de quelqu’un en parlant de ses vêtements, de son odeur, de sa coiffure, etc. ;
- Créer un sentiment de peur, d’angoisse ou de détresse en proférant des insultes, moqueries ou menaces ;
- Donner des noms ou surnoms peu flatteurs ;
- Changer constamment les directives ou procédures dans un lieu ou pour une activité afin d’en exclure une personne;
- Rédiger des lettres d’insultes et de menaces et les acheminer sous le couvert de l’anonymat.
Intimidation sociale
- Chercher à humilier, dénigrer ou offenser l’autre en faisant des plaisanteries ou des remarques blessantes en présence d’autres gens;
- Critiquer constamment ou injustement une personne ou rabaisser ses opinions devant les autres ;
- Répandre des rumeurs malveillantes, du commérage, des mensonges ou des insinuations ;
- Regarder l’autre de manière méprisante ou menaçante;
- Exclure, isoler et éviter une personne lors d’activités sociales, de loisirs ou dans un endroit public;
- Réserver des places pour certaines personnes à la même table lors des repas ou des activités de groupe dans le but d’exclure d’autres personnes;
- S’immiscer dans la vie privée d’une personne en l’importunant, l’épiant, la harcelant ou la traquant;
- Harceler quelqu’un pour des cigarettes, de l’argent ou autres. Intimidation physique
- User de violence physique ou menacer de le faire;
- Faire trébucher, bousculer, contraindre, pousser ou pincer une personne;
- Faire des gestes obscènes pour gêner ou humilier l’autre.
Intimidation matérielle
- Briser, vandaliser, détruire les objets ou les biens de quelqu’un d’autre ou menacer de le faire;
- S’approprier les objets ou les biens d’autrui (y compris, par exemple, les images provenant d’Internet ou disponibles via les réseaux sociaux).
Prévenir l'intimidation chez les aînés
Pour contrer le phénomène, Marie Beaulieu mène un projet de recherche en collaboration avec un groupe de résidences privées.
On
est en train de développer un programme de formation pour vraiment
sensibiliser les résidents, les employés et les membres des familles à
être attentifs à l’intimidation ou l’intolérance. Les témoins ont un
rôle à jouer.
Les aînés, dit-elle, doivent faire preuve de bienveillance entre eux.
Le ministère de la Famille du Québec compte par ailleurs
présenter un nouveau plan d'action pour prévenir et contrer
l’intimidation au printemps 2020. Des mesures pour les aînés étaient
incluses dans le dernier plan 2015-2018, toujours en vigueur.
RD
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