Article de Suzanne Décarie, Magazine Bel ÂGE, 2019
Lorsque son mari a pris sa retraite, Nicole a été déroutée. Il faut
dire qu’il s’est décidé sans crier gare, profitant de l’opportunité
d’une restructuration pour rentrer à la maison. C’est avec sérénité et
en toute connaissance de cause qu’il a opté pour la retraite à 53 ans.
Nicole,
elle, ne s’attendait pas à vivre si jeune avec un retraité ! Elle
n’avait pas encore 50 ans et 3 grands ados à la maison. «J’ai eu peur,
avoue-t-elle. Peur de ne plus l’aimer de la même façon, peur que notre
relation change, peur de moins l’admirer, peur qu’il se laisse aller,
peur qu’il passe ses journées à m’attendre, peur de perdre ma liberté...
Les enfants aussi ont été pris au dépourvu.» Ils craignaient de vivre
sous surveillance !
Rien de tout cela ne s’est produit : ils ont
découvert un homme différent du père occupé qu’ils avaient toujours
connu et s’en sont rapprochés. Et Nicole a lentement trouvé de multiples
avantages à avoir un conjoint disponible. «Il allait chercher et
reconduire les jeunes qui l’appelaient maintenant en cas de pépin, il
faisait les courses… Je me suis sentie dégagée d’un grand poids. On
devrait toutes avoir un homme à la maison !», affirme-t-elle en riant.
Amenez-en des projets!
C’était
il y a huit ans. Depuis, le mari de Nicole a toujours un projet en
chantier et n’a jamais cessé de se lever tôt le matin. Heureux de
jouir de sa retraite
pendant qu’il est en santé, il ne regrette rien, ne s’ennuie pas du
tout et ne presse pas Nicole de le suivre. Ce qui est tant mieux, car à
55 ans, Nicole n’est pas prête à quitter un travail qu’elle aime et qui
la nourrit.
«Le bonheur à la retraite dépend des projets que l’on
va mettre en chantier. Ils n’ont pas besoin d’être exceptionnels»,
affirme Marie-Paule Dessaint, andragogue et auteure de
Bien vieillir, mieux vieillir (Éditions de L’Homme) et
d’Une retraite heureuse? Ça dépend de vous!
publié chez Flammarion. «Il faut continuer d’être soi-même avec ses
talents, ses intérêts et ses compétences tout en continuant de les
développer. Celui qui passe la journée dans sa chaise berçante à écouter
la télé risque de perdre l’admiration de sa femme…»
Comme
Nicole, vous vous sentez délestée par la liberté retrouvée de votre
conjoint? Vous vivez auprès d’un mari heureux de pouvoir faire tout ce
qu’il a toujours eu envie de faire sans que personne ne lui mette de
bâtons dans les roues? Un mari qui prend plaisir à faire les courses, à
préparer le souper et à s’occuper de la maison à son rythme et à sa
façon?
Mais vous vous surprenez pourtant à être
irritée
par toute la place qu’il prend désormais, à être contrariée qu’il se
prélasse sous la couette quand vous partez travailler ou qu’il se balade
ou joue au golf pendant que vous peinez… Vous avez beau rêver d’un
retraité actif, vous vous sentez parfois menacée de le savoir
régulièrement au club de tennis, entouré de partenaires avec lesquelles
il passe plus de temps qu’avec vous, qui rentrez crevée…
Il est
trop à l’extérieur, c’est la panique, trop à la maison, c’est le
désespoir. «Les femmes qui travaillent doivent faire confiance à leur
mari. Plusieurs les empêchent de se réaliser de peur de les perdre»,
remarque Marie-Paule Dessaint. «Il faut apprendre à dire ses craintes et
ses frustrations au fur et à mesure qu’on les vit, et à partager ses
attentes tout en laissant à l’autre l’espace pour refuser, souligne pour
sa part la psychologue Jocelyne Bounader. Les gens ont peur de causer
une crise en parlant, mais c’est en ne parlant pas qu’ils risquent de la
provoquer…»
La retraite ne semble pas le métamorphoser? Vous
êtes exaspérée parce qu’il ne passe pas l’aspirateur et qu’il se fie
encore sur vous pour le souper? Il ne voit d’ailleurs pas pourquoi il
commencerait à faire le souper: il est à la retraite. Tandis que vous
vous demandez pourquoi vous feriez le souper: il est à la maison. «C’est
dans les couples où chacun a une attente qui lui paraît évidente, mais
qu’il n’a jamais émise clairement qu’il risque d’y avoir des tensions,
des frictions», note Jocelyne Bounader.
Il craint de s’embêter et
vous demande de dresser une longue liste de choses à faire —
réparations, peinture, petits boulots… — dans laquelle il pourra puiser
lorsqu’il sera en panne d’inspiration? Allez-y! Mais s’il ne vous en
parle pas, prenez garde de ne pas le ficeler. «Certains se sentent vite
prisonniers de leur femme qui leur remet quotidiennement la liste des
choses à faire pour la journée», constate Marie-Paule Dessaint.
Paul-Émile
savait que la retraite arrivait, mais n’avait rien planifié. Son réseau
d’amis étant assez restreint, ses passions limitées, il a tôt fait de
s’ennuyer et de meubler le temps en servant de chauffeur à sa femme
Gaétane, qui regrette de ne plus prendre l’air avant de rentrer. «Je ne
bouge plus!», se désole-t-elle. Il suit en outre le programme qu’elle
lui prépare quotidiennement. «Sinon, il passe la journée à se bercer,
fait une sieste, écoute la télé en attendant que j’aie fini de
travailler…» Il voudrait bien que Gaétane cesse de travailler elle
aussi, mais il n’en est pas question: «J’ai bien trop peur de m’ennuyer!
Votre
conjoint a toujours envisagé la retraite comme un projet à deux ? Il
n’a cessé de rêver à ce moment où vous pourrez enfin voyager ensemble et
partager nombre d’activités? Il y est! Comme il a hâte que vous vous y
mettiez aussi, il tentera probablement de vous convaincre de faire le
saut. «Si vos attentes ne sont pas les mêmes, il risque d’y avoir des
tensions», avertit Jocelyne Bounader.
Lorsque Jean a pris sa
retraite, Lise s’est sentie gâtée. Il venait la reconduire au travail,
lui préparait de bons soupers et… l’incitait à faire comme lui. «J’ai
d’abord résisté. J’aimais mon travail et, comme j’ai fait une pause
quand j’ai eu les enfants, j’ai travaillé beaucoup moins longtemps que
lui.» Elle a tenu son point. Elle a laissé Jean s’adapter à sa nouvelle
vie en l’observant. «Il avait l’air si bien que je l’ai suivi au bout de
deux ans. Et j’adore ça!», dit-elle les yeux brillants, à quelques
jours de leur départ pour le Sud. «C’est notre premier voyage en avion
depuis si longtemps !», se réjouit-elle.
Avant de prendre une
retraite anticipée et précipitée pour être avec votre mari,
«demandez-vous quels sont vos attentes et vos rêves personnels, et de
couple», conseille Marie-Paule Dessaint. Vous êtes prête? Tant mieux.
Sinon, trouvez des compromis. Convenez d’un sursis de un, trois ou cinq
ans.
Pourquoi ne pas travailler à temps partiel? Cela vous
donnera la chance d’entreprendre doucement des projets à deux, comme
Nicole qui travaille quatre jours semaine. «Ça nous fait trois jours de
retraite. On en profite», dit-elle. Essayez de prendre de plus grandes
vacances. Invitez votre mari à vous libérer des tâches domestiques pour
avoir plus de temps à passer ensemble.
«Apprivoisez ensemble votre retraite. Donnez-vous du temps pour découvrir ce que vous aimez faire», suggère l’andragogue.
Toute
sa vie, votre homme s’est défini par son travail, et voilà qu’il se
retrouve à la maison sans même jamais l’avoir envisagé. Mise à pied
imprévue ou
retraite forcée, il a l’impression d’avoir perdu son identité, d’être mis au rancart.
«Beaucoup
retombent sur leur pied après une période de secousse si on les laisse
en paix et si on leur donne le temps d’identifier leurs talents et leurs
compétences, de penser à ce qu’ils ont encore envie de faire et à ce
qu’ils peuvent encore faire, ainsi qu’aux ressources dont ils disposent
pour bâtir leur vie de façon différente, affirme Marie-Paule Dessaint.
La majorité des gens (80%) disent alors que cette retraite a eu un effet
bénéfique sur leur vie.»
Il est encourageant de savoir qu’après
le profond séisme d’une mise à la retraite imposée, votre conjoint peut
en venir à considérer que, finalement, tout était pour le mieux et à
savourer sa nouvelle vie. Une chose est certaine, il lui faut retrouver
sa place, c’est-à-dire avoir des projets, se sentir utile, être en
relation avec des gens, et pas seulement avec la famille.
Il se
prend en main? Ça devrait aller. Il se morfond en blâmant tout le monde?
Ça n’augure rien de bon. Pour éviter de chavirer, «il doit faire son
bilan, se demander quels sont ses rêves, ses besoins et ses valeurs,
s’interroger sur ce qu’il peut encore faire et sur sa contribution à
l’harmonie du couple», insiste Marie-Paule Dessaint. Ce qui l’amènera
peut-être à chercher du travail en acceptant de faire des concessions, à
prendre un autre type d’emploi, à se satisfaire de moins d’heures… «Le
Québec est l’un des pays où les plus de
55 ans sont les mieux acceptés sur le marché du travail», soutient l’andragogue.
Dans certains cas, le bouleversement est tel que la
dépression
guette. Il traîne et tourne en rond ? Passe ses journées devant la télé
? «Il faut qu’il accepte de se confier à quelqu’un, à un psy, à un
groupe d’entraide. Qu’il exprime ce qu’il ressent», insiste Marie-Paule
Dessaint. Elle rappelle que la qualité de la retraite dépend du stress
qu’elle engendre, de l’entourage auquel on peut se confier, du choix que
l’on a eu, ou pas, de prendre sa retraite. «Ceux qui ressentent ça
comme une humiliation sont plus à risque d’être déstabilisés»,
conclut-elle.
Le nouveau retraité peut se mettre à boire, avoir des
problèmes de jeux,
développer une dépendance à Internet. «Oisifs, certains retraités
passent des heures et des heures à clavarder et font des rencontres qui
peuvent mettre leur couple en péril», constate Jocelyne Bounader.
La
psychologue invite à aller chercher une aide extérieure en cas de
dépression. «Le médecin de famille est un allié, souligne-t-elle. Vous
ne pouvez prendre sur vous le fardeau de tirer votre conjoint de là, et
il ne peut exiger cela de vous.»
La
retraite de l’un des conjoints entraîne inévitablement son lot
d’ajustements. Il y a une période de transition à vivre qui est plus
facile si la retraite a été préparée que si elle a été imposée. Il faut
des mois à certains pour s’adapter, alors que d’autres n’y arrivent
jamais. «Des couples se séparent parce qu’ils sont incapables de se
retrouver. Monsieur ne veut laisser personne gâcher sa liberté. Madame
qui s’est tue toute sa vie se décide à mettre son pied à terre», dit
Jocelyne Bounader. La retraite n’est pas la cause, mais l’occasion qui
fait que l’on décide de rompre avec des années d’insatisfaction.»
«Plus
de 25% des couples se séparent dans les 5 années qui suivent la
retraite, rapporte Marie-Paule Dessaint. C’est beaucoup. Dans 85% des
cas, madame demande la séparation: elle veut profiter de la vie et ne
plus être au service de monsieur.»
Conseils pour bien composer avec la retraite de son conjoint
La psychologue Jocelyne Bounader invite à:
- Planifier sa retraite de façon individuelle et en couple.
- Ne
pas avoir peur d’exprimer ses attentes et ses frustrations, même si, à
première vue, elles peuvent sembler en contradiction avec celles de
l’autre.
- Régler les problèmes au fur et à mesure, ne pas penser que le temps va arranger les choses.
- Évaluer la juste part de responsabilité de chacun, ne pas tout prendre sur ses épaules ou tout mettre sur celles de l’autre.
- Transformer
cette situation de tension de crise en une belle occasion de régler les
choses pour pouvoir passer à l’étape suivante.
RD