Article de Bruno Lapointe, Journal de Montréal, 25 mars 2017
Elle a donné la réplique aux plus grands et marqué les
générations grâce aux personnages de Blanche Bellemare, Angéline
Desmarais et Marge Simpson. Et à 87 ans, Béatrice Picard n’a pas
l’intention de prendre sa retraite. «J’arrêterai le jour où je n’aurai
plus de plaisir. Mais pour le moment, j’ai beaucoup trop de fun!», s’exclame la comédienne.
Malgré ses 87 printemps, Béatrice Picard demeure active. La
dame conduit toujours sa voiture. Elle voyage. Elle joue au bridge (ses
yeux s’illuminent lorsque la conversation effleure le sujet). Bref,
elle n’a «pas le temps d’être malade».
«Je me tiens bien trop occupée! La journée où on cesse d’avoir
des projets, de s’émerveiller devant les plaisirs de la vie, on commence
à devenir vieux», explique la comédienne.
Une carrière bien remplie
Des projets, Béatrice Picard en a eu toute sa vie. La comédienne
reconnaît avoir eu une carrière «bien remplie» avec des rôles dans des
séries telles que Symphorien, Cré Basile et autres Sous un ciel variable.
«J’ai été chanceuse; il y a des comédiens qui connaissent de
grands vides dans leur carrière, mais je n’ai pas eu ce problème»,
confie-t-elle.
Et à quoi attribue-t-elle ce succès constant et renouvelé? «Je n’étais pas la plus en demande pour des premiers rôles. Étrangement, c’est ça qui m’a aidée», avance-t-elle. «Quand on ne fait que des premiers rôles, il peut se passer du
temps entre chacun. Moi, j’avais une famille à élever, donc je n’avais
pas le choix. Il fallait que l’argent rentre. Alors j’ai fait des petits
rôles, des moyens, et quelques-uns plus grands. Mais j’ai aussi fait de
la radio, du cinéma, de la radio, du théâtre, du doublage... J’ai
touché à tout pour ne jamais manquer de travail», relate-t-elle.
Un plaisir renouvelé
La comédienne n’a d’ailleurs pas l’intention d’arrêter de
travailler. Béatrice Picard se réjouit de pouvoir toujours monter sur
les planches du théâtre, avec une passion toujours aussi grande (voire
supérieure), après toutes ces années. «À une certaine époque, on jouait pratiquement toujours devant
un rideau noir. Quand on était chanceux, on avait un élément de décor,
mais rien de plus.
Aujourd’hui, on a les moyens et les ressources de
monter des spectacles qui sont meilleurs et plus beaux qu’avant», révèle
celle qui tiendra bientôt la vedette de Harold et Maude au Théâtre Duceppe de Montréal.
Marge un jour, Marge toujours
Pour toute une génération, Béatrice Picard restera toujours Marge Simpson, le personnage de la populaire émission Les Simpson.
D’ailleurs, aussitôt qu’il est question de ce rôle, la voix de
Béatrice Picard se transforme. Un tantinet plus rauque, elle colle au
timbre de celui de la matriarche de la famille Simpson et un sourire se
dessine sur ses lèvres.
«Je rencontre parfois des gens qui sont avec leurs enfants, et
ils essaient de leur expliquer que je suis, à leurs yeux, une grande
comédienne. Quand je prends la voix de Marge Simpson, je vois leurs yeux
s’agrandir! Ça me fait toujours rire», explique Béatrice Picard.
Voilà qui a de quoi la garder jeune. D’ailleurs, même à 87 ans,
la comédienne est catégorique: «Oui, je suis vieille. Mais dans mon
cœur, j’ai toujours 20 ans», annonce-t-elle avec un large sourire.
Le rôle d’une vie
Béatrice Picard s’apprête à réaliser un rêve. La comédienne
montera bientôt sur la scène du Théâtre Duceppe dans la relecture du
classique Harold et Maude. «Quand j’ai su qu’ils allaient
présenter cette pièce, je me suis croisé les doigts pour avoir le rôle»,
évoque-t-elle en riant.
«Je rêvais de jouer ce personnage. Maude est un personnage qui
a mon âge. Qui me ressemble. J’ai souvent joué des rôles de
composition, mais cette fois-ci, il est beaucoup plus près de ma
réalité. Bien sûr, son histoire n’est pas la mienne. Mais j’ai la même
vitalité, la même combativité qu’elle», explique-t-elle.
«Maude est une femme qui a passé de très durs moments dans sa
vie. À l’origine, elle était une comtesse. Puis, avec la guerre, elle a
été internée à Auschwitz. Elle s’en est sortie, son mari est décédé. Et
elle s’est battue pour différentes causes très nobles, comme la liberté
et la justice», indique Béatrice Picard.
Désormais veuve, le personnage de Maude brise sa solitude en
se rendant dans différentes églises pour assister aux funérailles
d’inconnus. C’est ainsi qu’elle fait la rencontre d’Harold. Elle a près
de 90 ans. Il en a tout juste 19. Mais des liens affectifs se tisseront
tout de même entre eux.
Outre les sentiments qui finiront par unir les deux
personnages, Béatrice Picard insiste sur la transmission de valeurs qui
a lieu entre Harold et Maude. Alors qu’il est obsédé par la mort, elle
célèbre la vie. Leur rencontre improbable teintera à jamais
l’existence du jeune homme.
«Elle lui apprend tant de choses. Cette gentillesse, cette
bonté qui l’habite va transformer la vie d’Harold», explique-t-elle.
Une oeuvre modernisée
C’est à une version actualisée du classique que les
spectateurs auront droit. Même si les grandes lignes du récit
demeureront les mêmes, l’intrigue se déroulera en 2017. Contrairement au
film de 1971, dont l’œuvre théâtrale s’inspire, téléphones cellulaires
et tablettes électroniques seront utilisés par les personnages sur la
scène du Théâtre Duceppe de la Place des arts.
«La mère d’Harold se sert de sites de rencontres pour trouver
une copine à son fils. Alors c’est un environnement très actuel. En
prenant la même histoire, mais en la plaçant dans un contexte moderne,
on voit très bien qu’elle est tout aussi plausible. C’est une pièce
qui traverse les époques», promet Béatrice Picard.
Rencontrée à moins de trois semaines du premier lever de
rideau, la comédienne n’éprouvait aucune nervosité à l’idée de monter
sur scène. Alors que d’autres artistes de sa génération ont préféré
quitter la scène par peur de pertes de mémoire, Béatrice Picard est
bien confiante.
«C’est plus long pour apprendre mes textes. Ça, je ne le cache
pas. Mais la peur, c’est à l’étape des répétitions qu’elle se
manifeste. Quand on commence les représentations, qu’on se retrouve
devant le public, il ne reste plus que le plaisir de jouer»,
explique-t-elle.
«Et je connais le personnage par cœur. Alors, même si j’oublie
un mot, j’en aurai aussitôt un autre qui me viendra à l’esprit pour
poursuivre dans la même idée. Je ne crois pas que les gens vont s’en
rendre compte», conclut-elle avec un sourire en coin.
RD