Article de Danièle Henkel, Journal Les Affaires.com, 13 septembre 2014
« ENTREPRENDRE COMME JE LE VOIS »
Que
ce soit sur les réseaux sociaux, par courriel ou encore en échangeant
avec vous pendant mes conférences ou lors de conversations au coin de la
rue, vous êtes nombreux à évoquer les difficultés rencontrées pour
trouver un travail intéressant après 50 ans. Me dirigeant moi-même
allègrement vers une soixantaine que j'espère riche en nouveaux défis et
ayant aussi la chance d'être à la tête d'une entreprise où se côtoient
harmonieusement trois générations, il m'a semblé opportun de partager
avec vous quelques réflexions sur ce sujet.
La grande purge des séniors
La fin du 20e siècle a été marquée par ce que je qualifierais volontiers de «purge» des séniors. À partir des années 1980, et surtout 1990, bon nombre de grandes multinationales ont ouvert la voie à des entreprises moins importantes en proposant à leurs employés les plus âgés d'alléchants plans de départ anticipé à la retraite. Des propositions impossibles à refuser pour certains. C'est ainsi qu'en quelques années, en voulant privilégier non pas la jeunesse, mais plutôt des salaires plus bas, bon nombre de compagnies se sont retrouvées démunies d'une certaine forme de savoir-faire, d'une expérience et d'une «mémoire» d'entreprise dont elles ont vite compris l'importance. À telle enseigne que certaines d'entre elles n'ont pas hésité, quelques mois plus tard, à rappeler dans leurs rangs ceux à qui elles avaient si aimablement montré plus tôt la porte de sortie, afin qu'ils puissent encadrer et prendre sous leur aile les plus jeunes, et surtout les plus inexpérimentés.
Bien sûr, certaines entreprises peuvent ne pas se sentir concernées, et une jeune start-up ne verra peut-être pas tout de suite l'intérêt d'avoir dans ses effectifs un quinquagénaire d'expérience. Quoique... Aux yeux de certains clients, face à des banquiers, des investisseurs ou de futurs partenaires, la maturité et l'expérience restent des qualités synonymes de crédibilité et de confiance.
Privilégier la jeunesse
Voilà des années que l'on nous rabâche que le Québec risque de manquer de main-d'oeuvre et que les spécialistes et les travailleurs d'expérience sont de plus en plus difficiles à remplacer. Pourtant, faisant fi de cette fameuse recherche d'expérience si convoitée, devant deux candidats de compétence égale, les employeurs pencheront la plupart du temps pour le plus jeune. Probablement dans l'espoir qu'il restera en poste plus longtemps et que les frais liés à son recrutement et à sa formation seront plus facilement amortis. Pas toujours vrai ! Les plus jeunes ont parfois des velléités qui les rendent très mobiles et beaucoup plus disposés à changer rapidement d'employeur qu'un sénior.
Cela étant, et hormis cette fameuse expérience dont la quête pourrait être mise en arrière-plan en fonction du poste à pourvoir, il est évident que, lors d'un entretien d'embauche, j'essaie toujours d'évaluer, à compétences égales, la valeur ajoutée que pourra apporter à mon équipe la jeunesse de tel candidat ou la maturité de tel autre. Je ferai probablement lors d'une prochaine chronique l'apologie de ces jeunes qui savent me séduire au sein de l'entreprise, tant par leurs compétences que par leur dynamisme et leur créativité, mais leurs aînés ont aussi des qualités que je ne néglige jamais lors d'un entretien d'embauche.
Généralement, et c'est un gros avantage pour un employeur, après de longues années d'expérience, ils font souvent preuve d'une grande objectivité. Ils savent qui ils sont, ce qu'ils valent, où ils se situent dans la hiérarchie des compétences et ce qu'ils peuvent vous offrir. Leurs enfants élevés, ils sont souvent libérés des obligations parentales. Leur taux d'absentéisme est d'ailleurs sensiblement plus faible que chez les plus jeunes.
J'ai également eu l'occasion de remarquer à maintes reprises que les séniors sont généralement plus autonomes, qu'ils prennent plus facilement des initiatives et qu'ils aiment partager leur savoir avec les plus jeunes. De plus, et j'attache beaucoup d'importance à cet aspect-là, les personnes de plus de 50 ans ont souvent une très bonne maîtrise du français qui favorisera leur intégration dans un bureau ou à un poste de négociation dans cette langue. Chaque employeur devrait également tenir compte du fait que ces personnes font partie de la génération qui a probablement connu le plus de changements dans le monde du travail. Du fait, elles sont habituées aux modifications, voire aux bouleversements organisationnels, et leur aptitude à s'adapter continuellement reste un incontestable gage de sécurité et de stabilité pour l'entreprise.
Bonne complémentarité des compétences
Même si tout cela semble une évidence, il me semble que les chercheurs d'emploi de plus de 50 ans ne devraient pas uniquement miser sur leur savoir-faire et sur l'incontournable expérience qu'ils ont acquise au fil des ans. Leur âge offre aussi dans certains domaines une valeur ajoutée qu'ils devraient s'efforcer de mettre un peu plus en lumière auprès d'employeurs qui eux-mêmes n'en sont pas toujours conscients. Dans ma chronique précédente, en évoquant l'équipe d'Allemagne devenue championne du monde de soccer, je vous disais que seule l'expérience permet de structurer une équipe et d'organiser un jeu collectif efficace qui permettra aux plus jeunes de s'exprimer et de réaliser des exploits. C'est vrai aussi au sein de l'entreprise où tout est question d'équilibre et de bonne utilisation de la complémentarité des compétences. En guise de conclusion, j'aimerais partager avec vous cette citation de l'écrivain et poète Gérard de Nerval : «L'expérience de chacun est le trésor de tous.»
Danièle Henkel a fondé son entreprise en 1997, un an après avoir créé et commercialisé le gant Renaissance, distribué partout dans le monde. Mme Henkel a été plusieurs fois récompensée pour ses qualités de visionnaire et son esprit entrepreneurial. Elle est juge dans la téléréalité à caractère entrepreneurial Dans l'oeil du dragon, diffusée à Radio-Canada.
RD
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