Louise Latraverse, collaboration spéciale - La Presse, 25 octobre 2014
Ça y est ! J'y suis. Je rentre dedans à cent milles à l'heure.
Bonjour,
ceux et celles qui se croient au-dessus de la mêlée. Ceux qui sont
convaincus que vieillir n'est pas un processus normal dans l'évolution
de l'être humain. Ceux qui croient qu'ils ne seront jamais touchés par
cette... c't affaire-là.
Oui, la
vieillesse. Ouch ! Le mot que personne ne veut prononcer de peur de
l'attraper. Ce sale virus qui sévit dans notre société riche, instruite
et moderne. Cette maladie qui touche davantage les femmes que les
hommes. Encore et depuis toujours, les hommes s'en sortent mieux que
nous... pour le moment. Ils sont si séduisants avec leurs tempes grises
et leurs belles petites rides au coin des yeux. Regardez comme ils sont
beaux ! Fallait voir George Clooney, l'incarnation de la beauté mâle, se
balader en gondole avec ses amis célèbres, flamber des millions pour
épouser, à Venise, la belle Amal Alamuddin. L'avocate libanaise qui a
décidé de changer de nom et de prendre celui de son célèbre mari, après
son mariage. Yahoo nous informe que le site internet du cabinet
d'avocats pour lequel elle travaille, Doughty Street Chambers, le nom
qui figure au-dessus de son portrait est désormais celui d'Amal Clooney.
En 2014, faut le faire ! Revenu à Los Angeles, notre beau George se
promène affichant sa propre marque de téquila sur son T-shirt. Avec son
avoir de 180 millions, a-t-il vraiment besoin de faire ce genre de
publicité ? Nos héros ne savent plus s'arrêter. Et les belles ne cessent
de rêver qu'il va bientôt divorcer et qu'elles auront encore une chance
d'attraper le bellâtre de 53 ans.
Pour
conquérir ce trophée, elles devront envahir les gyms, faire du yoga, du
chaud, du froid, courir, ne pas s'arrêter de courir et se convaincre que
rien n'est à leur épreuve. Qu'elles repoussent l'échéance de quelques
années ! Ensuite, trop souvent, arrive l'odieux, l'horrible. L'effaçage
des rides, du double menton, du cou et du lissage de peau. En voulant se
distinguer, les femmes sont devenues toutes pareilles. Elles ont donné
en appâts leurs visages au Grand Chirurgien qui, se prenant pour un
artiste, a sculpté sur elles, à coups de bistouri et de dollars, sa
vision de la beauté et de la jeunesse. Elles y laissent souvent plus que
leurs peaux : les économies de toute une vie !
Que nous
est-il arrivé ? Avons-nous vendu notre âme au diable ? Nous sommes
toutes dans le même bateau. Et si peu solidaires ! Nous participons
toutes, ensemble et individuellement, à cette débâcle. À cet abandon de
notre identité pour plaire à tous sauf à nous-mêmes. Aucune femme n'est
gagnante dans cette course effrénée à repousser le temps. On ne s'est
pas libérées pour en arriver à ce triste constat : être réduites à notre
apparence physique ! A une fausse jeunesse ! Et notre belle
intelligence et nos talents ! Pfitt ! Réduits à néant ? Je dois me
pincer. Je suis dans un mauvais film, dans un mauvais rêve. J'ai envie
de nous secouer pour que nous retrouvions un peu de notre gros bon sens.
Celles qui se sont fait remonter, celles qui songent à le faire et
celles qui ont résisté, unissons-nous ! On fait bien des bêtises par
inconscience, vanité, pression sociale, lâcheté, mode, peur. L'immense
peur d'être rejetée, de ne plus travailler, de ne plus plaire à personne
sauf au chat d'à côté. Moi, la première !
C'est
ensemble que nous arriverons à mettre un terme à cette barbarie.
L'Histoire jugera notre faiblesse. Mes belles, mes toutes belles, la
jeunesse a du bon, je vous l'accorde. La vieillesse aussi. Et combien !
L'endroit, si peu convoité, où l'on peut enfin se reposer de toutes ces
pressions qu'une société très malade nous a imposées. Enfin heureuse de
s'appartenir. Un matin, tu décides que c'est assez d'essayer, à grands
frais depuis des années, de camoufler les signes du temps. Tu te rends
chez ta coiffeuse et tu lui demandes :
« Manon,
penses-tu qu'il y a une façon assez rapide de retirer toute la teinture
jusqu'à mes cheveux naturels, c'est-à-dire blancs ?
— On va
travailler doucement tes cheveux en enlevant la couleur, une couche à la
fois. Ça peut prendre une couple d'heures. » L'après-midi a passé. Avec
ses potions magiques et ses années d'expérience, la coloriste m'a
transformée en femme moderne. De mon temps. Blanche et libérée !
Elle m'a
enlevé les années d'esclavage passées à teindre et restreindre des
cheveux qui ne voulaient pas se faire emprisonner. Pardonnez-moi, un à
un. En sortant du salon de Manon, je me suis sentie belle et légère.
Avec une assurance que je ne me connaissais pas. Et la fierté d'être
moi-même, enfin, sans artifice !
J'aurai mis du temps ! Je suis lente.
RD
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