« Petit traité de vie intérieure » par Frédéric LENOIR Éditions PLON, 2010
Introduction : Apprivoiser
la mort est le chapitre 18 PP 161 – 166 de cet ouvrage clair et concis, duquel
on pourra naturellement tirer profit personnel, tant les sujets abordés sont
variés.
La vraie sérénité,
la paix intérieure s’acquièrent, je l’ai montré tout au long de ce livre, à la
seule condition d’accepter le donné de la vie. Dire « oui » à la vie consiste à
dire oui à l’inéluctable, c’est-à-dire ce sur quoi nous n’avons aucune prise.
Or, le plus inéluctable, c’est la mort. Et quel que soit l’amour que nous
nourrissons envers cette vie, nous savons avec certitude qu’un jour nous
cesserons d’exister, au moins dans ce corps. Nous le savons intellectuellement.
Mais rares sont ceux qui parviennent à intégrer réellement cette idée. Comme le
dit Freud, notre mort nous est à proprement parler « impensable », et nous
vivons comme si nous étions immortels.
L’angoisse
de la mort a conduit les premiers
humains, il y a une centaine de milliers d’années de cela, à creuser les
premières sépultures puis, progressivement, à les enrichir d’outils, de dons,
de parures pour accompagner le disparu dans l’autre monde. Cette pratique, en
signant la conscience de la finitude et l’espoir que celle-ci n’est pas
définitive, a fondamentalement distingué l’être humain des autres animaux. Dans
notre culture occidentale, forgée
dans le terreau judéo-chrétien, il fut un temps où nous acceptions plus
facilement la mort, dans la mesure où il nous était affirmé, et nous en étions
sans doute convaincus, qu’elle n’était qu’une porte vers une autre vie dans
l’au-delà. Nous vivions dans l’espérance que la rupture imposée n’était que
provisoire. Aujourd’hui où le scepticisme a pris le pas sur la croyance,
l’angoisse de la mort a ressurgi en nous, et de manière d’autant plus
redoutable que nous la percevons comme une fin totale, un anéantissement. Pour
nous en prémunir, nous avons occulté la mort, la nôtre et celle des
autres : elle est devenue l’un de nos ultimes tabous.
La croyance en l’au-delà persiste
fortement dans d’autres aires, je pense en particulier aux cultures orientales
où la transmigration des âmes, la réincarnation, est donnée comme un fait
objectif, et où elle est largement reconnue comme telle. Pour les croyants,
c’est-à-dire l’écrasante majorité de ces populations, la mort n’est pas une
fin, mais elle est englobée dans la vie ; elle est un passage qui
s’inscrit dans un temps cyclique. Arnaud Desjardins me faisait très justement
remarquer à ce propos la différence fondamentale entre l’Occident et l’Orient.
L’Occidental, me dit-il, oppose spontanément au mot « mort » le mot « vie ».
L’Oriental lui oppose le mot « naissance »
: pour lui, naissance et mort sont deux moments de la vie de l’esprit, laquelle
commence avant la naissance et continue après la mort. Seul le corps disparaît.
Croyance ô combien rassurante, même si ces deux passages ne sont pas faciles à
négocier et nécessitent un apprentissage dont les voies spirituelles asiatiques
ont été conçues pour en livrer les clés.
Les monothéismes apportent certes la
promesse que la mort n’est pas une fin définitive, mais ils se situent dans une
vision linéaire et non cyclique du temps, qui impliquent
les notions métaphysiques plus angoissantes de commencement et de terme. Par
ailleurs, ils ne disent que peu de choses de la vie future dont ils affirment
l’existence. Je connais des croyants qui ont très peur de la mort, même si leur
foi est profonde. Ils ont peur de l’inconnu, et cela est tout à fait
compréhensible. J’en connais d’autres, beaucoup plus rares, qui vivent, eux,
non pas dans l’angoisse, mais dans l’attente de la mort. C’était le cas de
l’abbé Pierre qui a commencé à la souhaiter et à l’attendre dès l’âge de
dix-sept ans. Cet homme n’aspirait qu’à la plénitude de la vie éternelle, qu’à
la rencontre aimante avec Dieu, même s’il n’en avait aucune représentation
précise. Il était convaincu qu’après sa mort il ne serait plus entravé par les
failles psychiques et physiques qui nous encombrent ici-bas, qu’il pourrait
enfin s’épanouir dans son intériorité, qu’il pourrait enfin vivre l’amour dans
sa plénitude. L’abbé Pierre est mort sereinement, comme la plupart des saints.
Dans le Phédon, l’un de ses dialogues socratiques les moins connus, Platon
nous dit que cette joie n’est offerte qu’au « vrai philosophe » dont l’âme est
sortie du corps avec toute sa pureté » (82c). Parce que, de son vivant, il est
« libre et affranchi de la folie de son corps » (67a), son âme est capable de «
voir ce qui est invisible et intelligible » (64e), de connaître « l’essence
pure des choses » (67b). Ce sage-là, ajoute-t-il, a travaillé toute sa vie, «
plus que les autres hommes, à détacher
son âme du commerce du corps » (65a).
Cela est
loin d’être le cas pour l’écrasante majorité d’entre nous. Ainsi, je suis
moi-même croyant ; j’entretiens, je l’ai déjà dit, une relation de cœur
avec le Christ ; j’ai foi en l’existence d’une vie après la mort ;
mais ma foi n’est pas une certitude sensible ou rationnelle. J’admets, avec mon
intelligence critique, n’avoir aucune certitude à cet égard. Ma raison me dit
que je suis peut-être dans l’illusion, et qu’il n’y aura peut-être rien après
la mort, après ma mort. Ce doute est toujours là. Je ne sais donc ce qui en
moi, de la foi ou du doute, l’emportera à l’ultime instant.
Outre les
voies spirituelles, toute une tradition
philosophique nous apprend à affronter cette angoisse universelle, à ne pas
avoir peur de la mort, à accepter le fait qu’elle est partie intégrante de la
vie. En somme, à essayer de vivre lucidement avec l’idée que nous allons
mourir, plutôt que de refouler cette idée. Mais peut-être est-ce là l’un des
principaux objectifs de la philosophie ? Montaigne en était en tout cas
convaincu quand il affirmait que « philosopher,
c’est apprendre à mourir1 ».
L’un des
premiers philosophes à s’être explicitement déclaré athée était le Grec
Épicure. Pour lui, il ne faisait pas de doute que la mort signe la disparition
totale, corps et âme, de l’individu. Pour autant, il enjoignait ses disciples à
ne pas la craindre, crainte qu’il disait totalement inutile, d’une part parce
qu’elle n’empêche pas la mort, d’autre part, parce qu’elle empêche la pleine
jouissance du plaisir de vivre. Dans sa Lettre à Ménécée,
il résume ainsi ce qu’il n’aura de cesse d’affirmer par ailleurs :
Habitue-toi à penser que la mort n’est rien pour nous. En effet, il n’y a de
bien et de mal que dans la sensation ; or, la mort est absence de
sensations. Par conséquent, savoir que la mort n’est rien pour nous rend cette
vie mortelle heureuse… […]. Il y a plus rien à redouter de la vie quand on sait
qu’il n’y a rien à redouter après la vie […]. Car il est vain de souffrir par
avance de ce qui ne cause aucune douleur quand il est là. Le plus terrifiant
des maux, la mort, n’est rien par rapport à nous puisque, tant que nous sommes,
elle n’est pas, et quand elle est, nous ne sommes plus. Donc la mort n’existe
ni pour les vivants, ni pour les morts […]. Le sage ne craint pas la vie, il ne craint pas non plus de ne pas vivre.
»
Source : http://bien.vieillir.perso.neuf.fr/apprivoiser-la-mort.htm
RD
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire