Vivre la vie d'un Senior

mardi 24 juillet 2012

Vieillissement : la théorie de la continuité



(tiré du volume « Psychologie du vieillissement » de Jean-Luc Hétu)

Remontant aux années 50, des psychologues ont mis au point des théories pour expliquer les comportements des personnes âgées. À la théorie de l'engagement, de l'activité, s'ajoute la théorie de la continuité.

Les adeptes de la théorie de la continuité se sont rendus compte que les gens changent généralement beaucoup moins qu'ils en ont parfois l'impression. La vision de la personnalité qui est en cause ici est d'ailleurs tout à fait dans la ligne de l'approche freudienne, selon laquelle l'essentiel de la personnalité est déjà en place dans les 5 ou 6 premières années de la vie.

Dans les années 80, les chercheurs qui se sont engagés dans l'« Étude de Kansas City sur la vie adulte » étaient essentiellement intéressés à identifier l'impact du temps sur la personnalité de leurs sujets. En d'autres termes, ils voulaient savoir si on peut parler de développement en psychologie de la maturité  et de la vieillesse comme on en parle en psychologie de l'enfance et de l'adolescence, et si oui, ils voulaient découvrir la direction de ce développement.

Ces chercheurs se sont aperçus que la personnalité de leur sujet  était structurée autour d'un noyau stable, et que c'est à partir de ces traits typiques que chaque sujet abordait les différents défis de son vieillissement. Autrement dit, « on devrait s'attendre à ce que les personnes âgées réagissent aux changements et aux crises de la vieillesse essentiellement de la même façon qu'elles ont réagi aux changements et aux crises survenus plus tôt dans leur vie. ». Ainsi, « il faut présumer que la personne qui est habituée de s'ajuster aux changements de la vie s'ajustera mieux à la vieillesse qu'une personne qui a mené une vie passive; que la personne habituée à prendre des décisions rationnelles continuera à le faire, et que celle qui n'a ps fait face à ses problèmes continuera à les fuir elle aussi. »

Avant d'aller plus loin, il y a lieu de relever différents prémisses à cette théorie :

  • Les humains comme groupe ne changent pas en vieillissant.
  • On ne peut comprendre le vieillissement que sur la base de ce qui l'a précédé. Chez l'être humain, son histoire personnelle contient la clé permettant de comprendre la dynamique qui l'anime dans la dernière tranche de sa vie.
  • On ne peut comprendre le comportement d'un sujet donné qu'à partir de sa personnalité.
  • Le type d'environnement que le sujet tend à constituer autour de lui devient aussi un facteur de continuité dans sa vie.
  • Les styles de personnalité établis à la maturité constituent les meilleurs indices de l'ajustement futur au vieillissement. Autrement dit, les styles de personnalité correspondent à des patterns de longue durée, et ces pattern sont susceptibles de se maintenir toute la vie.
  • Ces styles de personnalité tendent non seulement à se maintenir toute la vie, mais même à devenir plus saillants encore à la vieillesse. 
  • La personnalité continue néanmoins d'évoluer toute la vie. 
 En somme, « l'individu vieillit selon un pattern qui a une longue histoire et qui se maintient en s'adaptant jusqu'à la fin de sa vie. La structure de la personnalité adulte s'inscrit dans la continuité de celle de l'enfant ou de l'adolescent, mais elle n'est pas identique à cette dernière. »

Le niveau d'interaction sociale

Les chercheurs ont constaté un déclin systématique avec l'âge dans le niveau d'interaction, autant dans la fréquence globale que dans le degré d'implication. Trois hypothèses sont mises de l'avant pour expliquer la baisse avec l'âge de l'implication affective dans les interactions sociales :

  • Le vieillissement du système nerveux central, qui joue un rôle prépondérant dans les émotions;
  • L'accumulation de différentes impulsions socialement inacceptables (agressivité, sexualité) amenant le sujet à utiliser la majeure partie de son énergie psychique disponible pour les contrôler;
  • Le déclin de l'acuité visuelle et auditive, ce qui diminue sensiblement la performance dans des situations sociales le moindrement complexes. (par exemple, lorsque plusieurs personnes parlent en même temps).  

La satisfaction face à la vie

Les principaux critères mis de l'avant pour mesurer la satisfaction face à la vie sont les suivants :

  • Le sujet prend plaisir à ses activités quotidiennes
  • Il accepte ce que sa vie a été  et la considère pleine de sens 
  • Il sent qu'il a atteint ses principaux objectifs.
  • Il entretient une image positive de lui-même
  • il est généralement de bonne humeur.

On a constaté qu'en général, la baisse d'activités s'accompagne d'une baisse dans le sentiment de satisfaction associé à ces activités. Le sujets regrettent  les activités auxquelles ils ne peuvent plus s'adonner en vieillissant.

Par ailleurs, la satisfaction d'ensemble face à la vie présente et face à l'ensemble de la vie ne diminue pas sensiblement avec l'âge.

L'action et la contemplation

Les travaux de recherche ont relevé deux types de valeurs ou deux orientations à l'oeuvre. D'une part, le désir de demeurer actif de manière à maintenir le sentiment de leur valeur personnelle, et d'autre part, le désir de prendre du recul par rapport aux activités et aux contacts sociaux.

Cette polarisation entre l'action et la contemplation ne date pas d'hier. En fait, elle a toujours existé dans la société humaine, quelle que soit l'époque de référence.

Ce qui, toutefois, permet aux chercheurs de dégager trois grandes façons de réagir au vieillissement. La personne dont les responsabilités familiales et professionnelles sont diminuées ou terminées se voit plus libre d'investir là où elle le juge bon. Ce pourra être :

  • Soit, dans une vie facile centrée sur le confort matériel et sur la dépendance, rationalisée comme suit : « On a donné pendant toute notre vie. C'est à notre tour à recevoir. »; qu'elle soit active ou désengagée, la personne décrite ici a de bonnes chances d'avoir un faible niveau de satisfaction face à son vieillissement, que ceci soit caché ou non sous un optimisme de surface;
  • Soit, dans des activités sociales et dans des rôles communautaires qui lui permettront de donner un sens tangible à sa vie actuelle; on aura alors la combinaison : haut niveau d'activité et degré de satisfaction élevé face au vieillissement;
  • Soit, dans l'approfondissement de sa réflexion sur ce qu'a été l'ensemble de sa vie, avec ses hauts et ses bas; on aura ici un fable niveau d'activité mais un bon niveau de satisfaction à l'endroit du vieillissement.

Généralement, le sujet ne fait que manifester des orientations ou des tendances qui étaient déjà à l'oeuvre dans sa personnalité bien avant qu'il n'atteigne l'âge de la vieillesse.

Différents profils de vieillissement

L'expérience du vieillissement est en partie déterminée par le type de personnalité du sujet. Les différents types de personnalité que l'on rencontre dans la vie courante se distinguent par les différents mécanismes de défense que les sujets en cause ont appris à mettre à contribution pour maintenir leur équilibre psychologique, de même que par les différents besoins psychologiques que ces sujets éprouvent.

Or, les changements physiques et sociaux survenant à la vieillesse affectent diversement ces mécanismes de défense. C'est dans ce sens que différents profils de personnalité auront tendance à correspondre à différents profils de vieillissement. Les chercheurs ont dégagé une première série de 8 profils de vieillissement :

  1. Les réorganisateurs : ceux qui tendent à remplacer les activités perdues par des activités nouvelles.
  2. Les sélectifs : ceux qui tendent à se centrer sur quelques rôles ou quelques champs d'activités. 
  3. Les désengagés : ceux qui affichent un faible niveau d'activité, des personnes empreintes de sérénité et de respect d'elles-mêmes qui ont préféré se dégager de leurs rôles et activités, en vivant un intérêt plus diffus ou plus intérieur, un « intérêt qui ne s'inscrit pas dans un réseau d'interactions sociales. »
  4. Les sujets qui s'accrochent : menacées par le fait de vieillir, ces personnes s'accrochent autant qu'elles le peuvent aux activités et habitudes de leur maturité, réussissant ainsi à demeurer satisfaites de la vie à l'aide la philosophie suivante : « Tant qu'on se tient occupé, on est correct...»
  5. Les sujets qui se replient : ceux qui apparaissent blindés et défensifs, préoccupés par leur pertes réelles ou appréhendées, et réagissent en se fermant à la vie. 
  6. Les chercheurs de support : ces personnalités ressentent un fort besoin de se sentir continuellement appuyées par des personnes attentives. En s'appuyant sur un ou deux personnes qui prennent en charge leurs besoins affectifs, ils se tireront relativement bien d'affaires.
  7. Les apathiques : profil marqué par une profonde passivité, les sujets abandonnant à leur environnement le contrôle total de leur vie. Le niveau de satisfaction face à la vie oscille entre bas et moyen.
  8. Les personnalités non-intégrées : le dernier profil est le contraire des trois premiers précédents, cumulant plusieurs indices de santé mentale précaire : déficiences sérieuses dans le fonctionnement psychologique, perte de contrôle des émotions, et détérioration des processus cognitifs. Peu actifs et peu satisfaits face à la vie.
Une deuxième série de profils

En 1962, d'autres chercheurs américains ont dégagé une autre série de profils de vieillissement, à partir d'un échantillon de 87 ouvriers âgés de 55 à 84 ans et dont la moitié étaient retraités. Voici les cinq profils en question :

  1. Les sujets mûrs : ces sujets avaient une personnalité bien intégrée, ni impulsive, ni sur-contrôlée. Dotés d'une bonne connaissance d'eux-mêmes, ils avaient le sens de l'humour, étaient flexibles et tolérants, chaleureux et capables d'apprécier la vie, autant au plan des relation interpersonnelles que de l'exercice de leurs compétences professionnelles. De plus, ces sujets assumaient leurs responsabilités familiales et... ils avaient habituellement un ou plusieurs passe-temps... qui leur permettaient à la fois de sublimer les inévitables frustrations de la vie et de percevoir très positivement la retraite...
  2. Les adeptes de la chaise berçante : ceux-ci se distinguaient des autres groupes par leur dépendance d'autrui au plan matériel et émotif. Dénudés d'ambitions personnelles et plutôt portés à éviter les responsabilités, ces sujets recherchaient leurs satisfactions dans la nourriture et parfois dans la consommation d'alcool... Misant sur une approche passive, la combinaison gagnante était pour ces hommes une épouse qui pouvait le dominer mais en même temps les prendre en charge. Ces sujets s'ajustaient bien à leur retraite, qui leur permettait de donner libre cours à leur fonctionnement psychologique typique.
  3. Les sujets blindés : le trait dominant chez les membres de ce groupe était la rigidité, qui leur permettait de contrôler leurs émotions et leurs pulsions et de naviguer ainsi sans problème dans la vie. Dans la vie courante, ils démontraient beaucoup de stéréotypes conventionnels dans leur façon de penser et ils avaient des amis aussi conservateurs qu'eux. Ces sujets avaient habituellement une vie professionnelle stable et réussie, et identifiaient le principal enjeu du vieillissement dans le fait de demeurer actifs.
  4. Les sujets agressifs : Ces sujets étaient habituellement hostiles et portés à blâmer les autres pour leurs échecs et leurs difficultés. Portés à percevoir la vie comme une jungle, ces sujet utilisaient leur agressivité à la fois pour masquer leur faible tolérance aux frustrations et à l'insécurité, et leur inconscience à se dévaloriser. Aussi menacés que les sujets blindés par leurs sentiments et leurs conflits intérieurs, les sujets agressifs réussissaient moins bien que ces derniers à se couper de leur vécu. C'est pourquoi ils devaient projeter sur les autres leurs difficultés de vivre...
  5. Les sujets qui se dévalorisent : Cette catégorie regroupait des sujets très dépressifs, parfois jusqu'à souhaiter ouvertement la mort, qui retournaient contre eux toutes les frustrations. Un trait typique de ces sujets était leur forte ambivalence face aux relations difficiles dans leur vie : avec leurs parents d'abord, et avec leur épouse ensuite...

Conclusion

...Au plan pratique, la « théorie » de la continuité conserve le mérite indéniable de nous rappeler que l'âge ne vient introduire aucune discontinuité dans les stratégies d'ajustement aux défis de l'existence, et que le vieillissement ne fait bien souvent au contraire que révéler plus clairement ces stratégies en place depuis longtemps.

La leçon à tirer du concept de « profil de vieillissement » serait ainsi de profiter de la période de maturité pour examiner son fonctionnement personnel, et voir comment on peut le modifier en direction d'une meilleure santé psychologique.

RD


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