Vivre la vie d'un Senior

mardi 24 juillet 2012

Vieillissement : la théorie de la continuité



(tiré du volume « Psychologie du vieillissement » de Jean-Luc Hétu)

Remontant aux années 50, des psychologues ont mis au point des théories pour expliquer les comportements des personnes âgées. À la théorie de l'engagement, de l'activité, s'ajoute la théorie de la continuité.

Les adeptes de la théorie de la continuité se sont rendus compte que les gens changent généralement beaucoup moins qu'ils en ont parfois l'impression. La vision de la personnalité qui est en cause ici est d'ailleurs tout à fait dans la ligne de l'approche freudienne, selon laquelle l'essentiel de la personnalité est déjà en place dans les 5 ou 6 premières années de la vie.

Dans les années 80, les chercheurs qui se sont engagés dans l'« Étude de Kansas City sur la vie adulte » étaient essentiellement intéressés à identifier l'impact du temps sur la personnalité de leurs sujets. En d'autres termes, ils voulaient savoir si on peut parler de développement en psychologie de la maturité  et de la vieillesse comme on en parle en psychologie de l'enfance et de l'adolescence, et si oui, ils voulaient découvrir la direction de ce développement.

Ces chercheurs se sont aperçus que la personnalité de leur sujet  était structurée autour d'un noyau stable, et que c'est à partir de ces traits typiques que chaque sujet abordait les différents défis de son vieillissement. Autrement dit, « on devrait s'attendre à ce que les personnes âgées réagissent aux changements et aux crises de la vieillesse essentiellement de la même façon qu'elles ont réagi aux changements et aux crises survenus plus tôt dans leur vie. ». Ainsi, « il faut présumer que la personne qui est habituée de s'ajuster aux changements de la vie s'ajustera mieux à la vieillesse qu'une personne qui a mené une vie passive; que la personne habituée à prendre des décisions rationnelles continuera à le faire, et que celle qui n'a ps fait face à ses problèmes continuera à les fuir elle aussi. »

Avant d'aller plus loin, il y a lieu de relever différents prémisses à cette théorie :

  • Les humains comme groupe ne changent pas en vieillissant.
  • On ne peut comprendre le vieillissement que sur la base de ce qui l'a précédé. Chez l'être humain, son histoire personnelle contient la clé permettant de comprendre la dynamique qui l'anime dans la dernière tranche de sa vie.
  • On ne peut comprendre le comportement d'un sujet donné qu'à partir de sa personnalité.
  • Le type d'environnement que le sujet tend à constituer autour de lui devient aussi un facteur de continuité dans sa vie.
  • Les styles de personnalité établis à la maturité constituent les meilleurs indices de l'ajustement futur au vieillissement. Autrement dit, les styles de personnalité correspondent à des patterns de longue durée, et ces pattern sont susceptibles de se maintenir toute la vie.
  • Ces styles de personnalité tendent non seulement à se maintenir toute la vie, mais même à devenir plus saillants encore à la vieillesse. 
  • La personnalité continue néanmoins d'évoluer toute la vie. 
 En somme, « l'individu vieillit selon un pattern qui a une longue histoire et qui se maintient en s'adaptant jusqu'à la fin de sa vie. La structure de la personnalité adulte s'inscrit dans la continuité de celle de l'enfant ou de l'adolescent, mais elle n'est pas identique à cette dernière. »

Le niveau d'interaction sociale

Les chercheurs ont constaté un déclin systématique avec l'âge dans le niveau d'interaction, autant dans la fréquence globale que dans le degré d'implication. Trois hypothèses sont mises de l'avant pour expliquer la baisse avec l'âge de l'implication affective dans les interactions sociales :

  • Le vieillissement du système nerveux central, qui joue un rôle prépondérant dans les émotions;
  • L'accumulation de différentes impulsions socialement inacceptables (agressivité, sexualité) amenant le sujet à utiliser la majeure partie de son énergie psychique disponible pour les contrôler;
  • Le déclin de l'acuité visuelle et auditive, ce qui diminue sensiblement la performance dans des situations sociales le moindrement complexes. (par exemple, lorsque plusieurs personnes parlent en même temps).  

La satisfaction face à la vie

Les principaux critères mis de l'avant pour mesurer la satisfaction face à la vie sont les suivants :

  • Le sujet prend plaisir à ses activités quotidiennes
  • Il accepte ce que sa vie a été  et la considère pleine de sens 
  • Il sent qu'il a atteint ses principaux objectifs.
  • Il entretient une image positive de lui-même
  • il est généralement de bonne humeur.

On a constaté qu'en général, la baisse d'activités s'accompagne d'une baisse dans le sentiment de satisfaction associé à ces activités. Le sujets regrettent  les activités auxquelles ils ne peuvent plus s'adonner en vieillissant.

Par ailleurs, la satisfaction d'ensemble face à la vie présente et face à l'ensemble de la vie ne diminue pas sensiblement avec l'âge.

L'action et la contemplation

Les travaux de recherche ont relevé deux types de valeurs ou deux orientations à l'oeuvre. D'une part, le désir de demeurer actif de manière à maintenir le sentiment de leur valeur personnelle, et d'autre part, le désir de prendre du recul par rapport aux activités et aux contacts sociaux.

Cette polarisation entre l'action et la contemplation ne date pas d'hier. En fait, elle a toujours existé dans la société humaine, quelle que soit l'époque de référence.

Ce qui, toutefois, permet aux chercheurs de dégager trois grandes façons de réagir au vieillissement. La personne dont les responsabilités familiales et professionnelles sont diminuées ou terminées se voit plus libre d'investir là où elle le juge bon. Ce pourra être :

  • Soit, dans une vie facile centrée sur le confort matériel et sur la dépendance, rationalisée comme suit : « On a donné pendant toute notre vie. C'est à notre tour à recevoir. »; qu'elle soit active ou désengagée, la personne décrite ici a de bonnes chances d'avoir un faible niveau de satisfaction face à son vieillissement, que ceci soit caché ou non sous un optimisme de surface;
  • Soit, dans des activités sociales et dans des rôles communautaires qui lui permettront de donner un sens tangible à sa vie actuelle; on aura alors la combinaison : haut niveau d'activité et degré de satisfaction élevé face au vieillissement;
  • Soit, dans l'approfondissement de sa réflexion sur ce qu'a été l'ensemble de sa vie, avec ses hauts et ses bas; on aura ici un fable niveau d'activité mais un bon niveau de satisfaction à l'endroit du vieillissement.

Généralement, le sujet ne fait que manifester des orientations ou des tendances qui étaient déjà à l'oeuvre dans sa personnalité bien avant qu'il n'atteigne l'âge de la vieillesse.

Différents profils de vieillissement

L'expérience du vieillissement est en partie déterminée par le type de personnalité du sujet. Les différents types de personnalité que l'on rencontre dans la vie courante se distinguent par les différents mécanismes de défense que les sujets en cause ont appris à mettre à contribution pour maintenir leur équilibre psychologique, de même que par les différents besoins psychologiques que ces sujets éprouvent.

Or, les changements physiques et sociaux survenant à la vieillesse affectent diversement ces mécanismes de défense. C'est dans ce sens que différents profils de personnalité auront tendance à correspondre à différents profils de vieillissement. Les chercheurs ont dégagé une première série de 8 profils de vieillissement :

  1. Les réorganisateurs : ceux qui tendent à remplacer les activités perdues par des activités nouvelles.
  2. Les sélectifs : ceux qui tendent à se centrer sur quelques rôles ou quelques champs d'activités. 
  3. Les désengagés : ceux qui affichent un faible niveau d'activité, des personnes empreintes de sérénité et de respect d'elles-mêmes qui ont préféré se dégager de leurs rôles et activités, en vivant un intérêt plus diffus ou plus intérieur, un « intérêt qui ne s'inscrit pas dans un réseau d'interactions sociales. »
  4. Les sujets qui s'accrochent : menacées par le fait de vieillir, ces personnes s'accrochent autant qu'elles le peuvent aux activités et habitudes de leur maturité, réussissant ainsi à demeurer satisfaites de la vie à l'aide la philosophie suivante : « Tant qu'on se tient occupé, on est correct...»
  5. Les sujets qui se replient : ceux qui apparaissent blindés et défensifs, préoccupés par leur pertes réelles ou appréhendées, et réagissent en se fermant à la vie. 
  6. Les chercheurs de support : ces personnalités ressentent un fort besoin de se sentir continuellement appuyées par des personnes attentives. En s'appuyant sur un ou deux personnes qui prennent en charge leurs besoins affectifs, ils se tireront relativement bien d'affaires.
  7. Les apathiques : profil marqué par une profonde passivité, les sujets abandonnant à leur environnement le contrôle total de leur vie. Le niveau de satisfaction face à la vie oscille entre bas et moyen.
  8. Les personnalités non-intégrées : le dernier profil est le contraire des trois premiers précédents, cumulant plusieurs indices de santé mentale précaire : déficiences sérieuses dans le fonctionnement psychologique, perte de contrôle des émotions, et détérioration des processus cognitifs. Peu actifs et peu satisfaits face à la vie.
Une deuxième série de profils

En 1962, d'autres chercheurs américains ont dégagé une autre série de profils de vieillissement, à partir d'un échantillon de 87 ouvriers âgés de 55 à 84 ans et dont la moitié étaient retraités. Voici les cinq profils en question :

  1. Les sujets mûrs : ces sujets avaient une personnalité bien intégrée, ni impulsive, ni sur-contrôlée. Dotés d'une bonne connaissance d'eux-mêmes, ils avaient le sens de l'humour, étaient flexibles et tolérants, chaleureux et capables d'apprécier la vie, autant au plan des relation interpersonnelles que de l'exercice de leurs compétences professionnelles. De plus, ces sujets assumaient leurs responsabilités familiales et... ils avaient habituellement un ou plusieurs passe-temps... qui leur permettaient à la fois de sublimer les inévitables frustrations de la vie et de percevoir très positivement la retraite...
  2. Les adeptes de la chaise berçante : ceux-ci se distinguaient des autres groupes par leur dépendance d'autrui au plan matériel et émotif. Dénudés d'ambitions personnelles et plutôt portés à éviter les responsabilités, ces sujets recherchaient leurs satisfactions dans la nourriture et parfois dans la consommation d'alcool... Misant sur une approche passive, la combinaison gagnante était pour ces hommes une épouse qui pouvait le dominer mais en même temps les prendre en charge. Ces sujets s'ajustaient bien à leur retraite, qui leur permettait de donner libre cours à leur fonctionnement psychologique typique.
  3. Les sujets blindés : le trait dominant chez les membres de ce groupe était la rigidité, qui leur permettait de contrôler leurs émotions et leurs pulsions et de naviguer ainsi sans problème dans la vie. Dans la vie courante, ils démontraient beaucoup de stéréotypes conventionnels dans leur façon de penser et ils avaient des amis aussi conservateurs qu'eux. Ces sujets avaient habituellement une vie professionnelle stable et réussie, et identifiaient le principal enjeu du vieillissement dans le fait de demeurer actifs.
  4. Les sujets agressifs : Ces sujets étaient habituellement hostiles et portés à blâmer les autres pour leurs échecs et leurs difficultés. Portés à percevoir la vie comme une jungle, ces sujet utilisaient leur agressivité à la fois pour masquer leur faible tolérance aux frustrations et à l'insécurité, et leur inconscience à se dévaloriser. Aussi menacés que les sujets blindés par leurs sentiments et leurs conflits intérieurs, les sujets agressifs réussissaient moins bien que ces derniers à se couper de leur vécu. C'est pourquoi ils devaient projeter sur les autres leurs difficultés de vivre...
  5. Les sujets qui se dévalorisent : Cette catégorie regroupait des sujets très dépressifs, parfois jusqu'à souhaiter ouvertement la mort, qui retournaient contre eux toutes les frustrations. Un trait typique de ces sujets était leur forte ambivalence face aux relations difficiles dans leur vie : avec leurs parents d'abord, et avec leur épouse ensuite...

Conclusion

...Au plan pratique, la « théorie » de la continuité conserve le mérite indéniable de nous rappeler que l'âge ne vient introduire aucune discontinuité dans les stratégies d'ajustement aux défis de l'existence, et que le vieillissement ne fait bien souvent au contraire que révéler plus clairement ces stratégies en place depuis longtemps.

La leçon à tirer du concept de « profil de vieillissement » serait ainsi de profiter de la période de maturité pour examiner son fonctionnement personnel, et voir comment on peut le modifier en direction d'une meilleure santé psychologique.

RD


lundi 16 juillet 2012

Statuts et rôles à la vieillesse

 (Résumé tiré du volume de Jean-Luc Hétu, intitulé « Psychologie du vieillissement », chap. 5.)

Comme on a pu le constater précédemment, les rôles exercent un impact déterminant dans l'épanouissement des gens, d'abord en leur conférant un sentiment d'identité, et ensuite en leur permettant d'être socialement reconnus au moyen de leurs interactions avec leurs proches.

Statut et rôle

Le concept de statut équivaut en pratique à celui de pouvoir. Une personne a un statut élevé quand elle a beaucoup de pouvoir, c'est-à-dire quand elle peut exercer un impact significatif sur autrui. Prenons comme exemples, le cas du président d'une compagnie versus le statut d'un commis de bureau.

On retrouve ainsi de multiples statuts dans une même organisation sociale : les travailleurs et les chômeurs, les célibataires et les gens mariés, les parents et les enfants, les femmes au foyer et les femmes qui travaillent à l'extérieur, etc.

Les personnes âgées ont aussi besoin et droit à un statut social. Nous verrons plus loin comment on y arrive à leur définir un statut et un ou plusieurs rôles dans la société.

 Le concept de rôle

Le statut est en quelque sorte l'identité que la société assigne à ses membres, en fonction de leur place dans le système social. Or, chaque statut est normalement porteur d'un certain nombre d'obligations, qui correspondent à différents rôles. On pourrait se demander ici quels seraient les rôles de la personne qui détient le statut de grand-parent?

Conséquences pratiques pour les personnes âgées

La distinction entre comportement spontané et comportement découlant d'un rôle revêt une importance capitale pour les personnes âgées. La vieillesse s'accompagne en effet de différentes « sorties de rôle », ce qui a pour effet d'augmenter d'autant la possibilité d'activités spontanées ou expressives chez la personnes âgée. Celle-ci sera alors à même de remplacer avantageusement les activités « obligées » par des activités libres, en fonction de ses intérêts, notamment au niveau des loisirs et de différents apprentissages.

Un exemple type de changement de rôles : un changement intérieur au rôle lui-même, en fonction du vieillissement du sujet : Par exemple, le rôle de fille à mère n'est pas le même selon qu'on a 10 ans et que sa mère en a 35, selon qu'on a 25 ans et que sa mère en a 50, et selon qu'on a 50 ans et que sa mère en a 75 ans. Ou encore un changement de rôle consécutif à un changement de statut : par exemple, le sujet qui passe du statut de célibataire à celui de personne mariée, ou du statut de conjoint sans enfant à celui de père de famille, ou de statut de travailleur à celui de retraité.

Le cas le plus courant chez les personnes âgées de changement de rôle provoqué par un changement extérieur au sujet concerne sans doute la perte d'autonomie du conjoint. Une des exigences les plus claires dans le rôle de conjoint est de porter assistance à son conjoint,...

La perte d'autonomie plus ou moins prononcée d'un conjoint vient mobiliser désormais une grande portion de l'énergie et des préoccupations du sujet. Celui-ci pourra avoir besoin d'être aidé à évaluer périodiquement les divers coûts que cette situation nouvelle représente pour lui.

« Personne âgée » : un statut vide

Le statut de retraité ou celui de veuf ou de veuve, mais plus fondamentalement encore celui de personne âgée en général, apparaît comme un statut vide, dans la mesure où il renvoie à aucun rôle précis, à aucune attente de la part des autres acteurs sociaux.

Vu sous cet angle, le statut de la personne âgée peut devenir aussi difficile à vivre que celui du chômeur. C'est ainsi que le chômeur et la personne âgée risquent touts deux d'éprouver un sentiment d'aliénation dans leur vie quotidienne, dans la mesure où ce qu'ils font ou ne font pas ne change rien pour personne, dans la mesure où personne n'attend rien d'eux.

Dans la pratique courante, les personne âgée sont peu portées à se référer à leur statut et à leurs rôles pour se décrire. Ainsi, les personnes âgées confirment bien ce qui suit : le sentiment d'avoir perdu leur identité sociale.

Les rôles informels

Il existe des rôles dits « formels », c'est-à-dire attribués ou reconnus officiellement par le système social à l'intérieur d'un statut bien défini : le rôle de mère de famille, le rôle de préposé à l'entretien,etc.

Mais, il existe aussi des rôles qu'on pourrait appeler informels, et qui se constituent plus ou moins spontanément et indépendamment de la structure sociale. Ces rôles dans lesquels le sujet se retrouve ne sont pas liés à son statut, mais aux relations informelles qui existent entre lui et les autres acteurs sociaux. Pensons ici, aux réseaux familiaux, aux réseaux d'amis, aux gens du voisinage, aux liens informels qui se développent entre les membres d'une même association...

Ces rôles informels se développement à la suite du comportement spontané du sujet, lequel comportement est perçu comme utile ou agréable par les proches.

Le concept de rôle informel peut s'avérer très important en gérontologie, car à la différence des rôles formels, les rôles informels ne tendent pas à décliner avec l'âge. Ainsi, en misant sur le concept de rôles informels, on pourra améliorer la qualité de vie de plusieurs personnes âgées, en les aidant à constituer de nouveaux réseaux ou tout simplement à vitaliser les réseaux déjà existants.

Dans ces réseaux, les personnes âgées pourraient soit retrouver des rôles familiers, soit faire l'apprentissage de nouveaux rôles, en tenant compte à la fois de leurs ressources personnelles et des besoins et des attentes des proches.  Ces questions seront reprises et approfondies ultérieurement.

RD

mercredi 4 juillet 2012

Vieillissement : la théorie de l'activité


Beaucoup de Seniors essaient de comprendre le niveau d'activité souhaitable ou convenant à leur âge respectif. Par ailleurs, en raison de l'allongement de la vie et aussi de la pénurie de main-d'oeuvre, la société québécoise comme d'autres en Europe (Allemagne, France, ...) voudraient garder les travailleurs le plus longtemps possible sur le marché du travail. 

Où se situe donc le point d'équilibre afin que tout le monde y trouve son compte? La théorie de l'activité permet de mieux situer les attentes des personnes qui prennent de l'âge, dans le cadre d'un vieillissement réussi et les limites qui sont imposées à une société dite vieillissante.

La théorie de l'activité, selon Jean-Luc Hétu, psychologue, est la plus ancienne des théories psychologiques du vieillissement. Elle remonte à la fin des années 40 lorsque Ruth Albrecht entreprit sa thèse de doctorat sur les « Les rôles sociaux des personnes âgées ». En 1953, Albrecht publiait avec Robert Havighurst un volume intitulé « Older people » qui a été réédité jusqu'en 1980.

La philosophie de fond de la théorie de l'activité

Les premiers conseils à retenir de la part de ces auteurs et qui s'adressent aux personnes âgées sont les suivants :

  • Prendre soin de son corps. Il est possible pour la plupart des gens de conserver une bonne partie de la vigueur et de l'attrait physique de leur maturité, s'ils font un effort...;
  • Découvrir et cultiver de nouvelles amitiés. Lorsqu'on perd un de ses vieux amis, on peut s'en faire de nouveaux... ;
  • Développer des intérêts pour les question sociales et pour la vie du milieu (...) Les personnes âgées peuvent faire des lectures plus complètes, explorer plus clairement des problèmes politiques et économiques, et devraient voter plus intelligemment que les jeunes ;
  • Développer de nouvelles activités de loisir et de nouveaux passe-temps ;
  • Planifier sa retraite (...) de manière à pouvoir profiter d'activités de remplacement signifiantes, une fois la retraite arrivée ;
  • Apprendre à laisser aller ses enfants (...) et établir avec eux des relations fondées sur le respect et la considération mutuelle plutôt que sur la base irrationnelle d'un parent dominant et d'un enfant dépendant.
Encore aujourd'hui, le coeur de cette théorie de l'activité (qui s'est raffinée avec le temps) réside dans l'affirmation selon laquelle la réussite du vieillissement est directement proportionnelle à la quantité des activités auxquelles le sujet continue de s'adonner. L'affirmation complémentaire est à l'effet que la baisse de la satisfaction face à la vie sera reliée à la perte des différents rôles de travailleur, de conjoint, de parent, de propriétaire,...

Les onze présupposés de la théorie

Pour bien comprendre les différents éléments définissant la théorie de l'activité, l'auteur de la « Psychologie du vieillissement » a élaboré onze propositions ou contenus qui s'enchaînent presque tous logiquement les uns aux autres.
  1. La satisfaction à vivre ressentie par un sujet donné est globalement reliée à son concept de soi. Ainsi on peut concevoir dès maintenant que plus le sujet entretient une image positive de lui-même, plus il éprouvera de plaisir à vivre.
  2.  L'image que quelqu'un se fait de lui-même dépend en bonne partie de l'image que les autres se font de lui. Ce que les autres pensent de nous continuerait à jouer un rôle significatif bien au-delà de l'enfance et de l'adolescence. c'est durant toute sa vie que le sujet aurait besoin d'être confirmé dans sa valeur par l'appréciation de ses proches.
  3. La dynamique de la personnalité demeure substantiellement la même à tous les âges de la vie. Les personnes âgées auraient donc les mêmes besoins que les plus jeunes, et réagiraient par les mêmes sentiments de frustration et de dépression lorsque ces besoins ne sont pas comblés. Il pourrait s'agir de recherche de la reconnaissance sociale, la sécurité émotive, l'expression sexuelle, la détente, ainsi que de nouvelles expériences, tout autant que le confort physique. Avec l'âge, ces mêmes besoins peuvent toutefois se présenter selon des dosages variables.
  4. Quel que soit l'âge du sujet, ce besoin d'être reconnu et apprécié se trouve essentiellement comblé lors des interactions de cet individu avec son entourage.
  5. C'est ici que s'opère la jonction entre le psychologique (l'organisation interne de l'individu) et le sociologique ( l'organisation sociale), nommément par le concept de rôle. Par définition, un rôle est l'ensemble des activités qu'un sujet donné est censé accomplir, compte tenu de la place qu'il occupe dans l'organisation sociale (parent, travailleur, secrétaire de comité, etc.). C'est en accomplissant ces différents rôles que l'individu est le plus susceptible de recevoir de son entourage l'appui et la reconnaissance dont il a besoin.
  6. Les rôles revêtent aussi une importance cruciale dans la mesure où ils servent de points d'ancrage pour l'identité du sujet. C'est en bonne partie l'ensemble de ses rôles (ce qu'il a à faire) qui permet au sujet de se faire une idée claire de ce qu'il est. Rappelons que l'identité joue un rôle central dans la santé psychologique du sujet car c'est par le tissu de ses rôles que le sujet reçoit le sentiment de son enracinement et de sa continuité.
  7. Or, en raison de l'organisation actuelle de la société, le fait de vieillir entraîne inévitablement pour l'individu la perte de multiples rôles, c'est-à-dire d'un phénomène qui survient contre la volonté du sujet. 
  8. Ce phénomène social de la perte de ses rôles par l'individu se traduira nécessairement au plan psychologique par un état de frustration, de dépression ou d'aliénation, proportionnellement à l'importance des rôles perdus. 
  9. La perte de certains rôles est inévitable. même en améliorant beaucoup l'organisation de la société, on ne pourra pas éviter qu'un conjoint meure avant l'autre, par exemple. À cause de la baisse de sa résistance physique et du déclin de ses aptitudes sensorielles ou cognitives, un travailleur qui approche du grand âge devra nécessairement un jour renoncer à son emploi.
  10. Le sujet qui s'adonne régulièrement à des activités sociales pourra faire face à la perte des rôles majeurs plus facilement qu'un sujet qui serait privé de telles activités...
  11. Les activités sociales jouent ainsi un rôle de coussin pour atténuer le choc de la perte des rôles majeurs. Elles permettent au sujet de reconstituer plus facilement son image de soi, suite à ce choc. C'est dans ce sens que la théorie soutient qu'il y a un lien entre le vieillissement réussi d'une part, et d'autre part le fait de maintenir ses rôles le plus longtemps possible et de prévoir leur remplacement éventuel par des activités sociales significatives pour le sujet.
« Activité » : un concept à préciser

Des intervenants bien intentionnés font parfois pression sur des personnes âgées pour les garder actives contre leur gré. Cette façon de faire est discutable dans la mesure où la participation forcée à des activités qui n'ont pas de sens pour un sujet donné ne peuvent pas lui être d'un grand apport psychologiques, bien au contraire.

Ceci dit, beaucoup de programmes d'activités demeurent pertinents et les intervenants qui veulent les réaliser sont justifiés de se montrer « incitatifs », surtout au début.

De même, remplir un rôle implique qu'on se soumette au contrôle et à la critique des personnes touchées par ce rôle, ou tout simplement témoins de la façon dont on le remplit. Assumer un rôle, c'est devenir responsable, et donc devenir sujet au contrôle et à la critique. Et lorsque la performance requiert de plus en plus d'énergie pour demeurer à la hauteur des standards d'autrui, c'est la tension et le stress qui se profilent à l'horizon. C'est pourquoi tant de personnes accueillent avec soulagement certaines sorties de rôles, comme par exemple prendre sa retraite.

 « Jeunes vieux » et « vieux vieux »

Cette grande diversité de la population dite « âgée » a donné lieu aux deux catégories  « jeunes vieux » pour désigner les sujet plus près de 65 ans et donc plus vigoureux, et « vieux vieux » pour désigner les sujets sensiblement plus âgés, chez lesquels les divers effets du vieillissement seront nettement plus perceptibles.

La théorie de l'activité s'applique beaucoup mieux à la majeure partie des « jeunes vieux », qui ont des chances d'être gratifiés pendant de longues années encore par des activités qui leur conviennent. Inversement, la théorie du désengagement s'applique beaucoup mieux à la majeure partie des « vieux vieux », que le vieillissement de plus en plus marqué amène à un certain retrait des activités sociales.

Différence de personnalité et satisfaction

En fait, l'enjeu du vieillissement réussi déborde largement le fait de rester actif. Une bonne façon de mesurer la réussite du vieillissement devrait tenir compte entre autres de la satisfaction du sujet à l'endroit de sa vie présente. Or, ce sentiment de satisfaction inclut plusieurs composantes :

  • L'enthousiasme versus l'apathie;
  • L'aplomb face à sa vie;
  • Le sentiment d'avoir atteint ses objectifs, quels qu'ils soient
  • Une image positive de soi.
Le choix des activités est fortement relié aux différentes personnalités des personnes âgées ; ce qui compte le plus, c'est la qualité des activités plutôt que la quantité. On se retrouve alors très proche du concept de « désengagement sélectif », point qui est central dans la théorie du désengagement.

RD  

lundi 2 juillet 2012

Vieillissement : la théorie du désengagement


S'il y a une chose que la plupart des gens, arrivés à l'âge de la retraite, se posent, c'est la question suivante : la retraite, est-ce ça s'inscrit comme un processus normal du vieillissement d'un individu?

Nous allons tenter de décortiquer cette question, en nous appuyant sur le volume de Jean-Luc Hétu, intitulé « Psychologie du vieillissement », chap. 4. qui décrit bien la théorie du désengagement.
 
Voici le cas de Donald Hebb (1979), longtemps rattaché à l'Université McGill et mondialement reconnu pour ses travaux sur l'apprentissage qui faisait, à l'âge de 74 ans les confidences suivantes :

« Pendant 35 ans, mes recherches sur le comportement ont représenté l'intérêt capital de mon existence. (...) Je travaillais six jours par semaine à mon laboratoire... Aujourd'hui, le besoin vital, dévorant, de manipuler des idées et des données psychologiques ne me tenaille plus (...) Dans l'ensemble, je suis désormais un spectateur. » Voilà un exemple de désengagement!

Les recherches sur la théorie du désengagement et de l'activité remontent au début des années soixante. Deux des principaux responsables de ces recherches sont, d'une part, William Henry (désengagement) et d'autre part, Robert Havighurst (activité). Quant à l'autre chercheuse principale, Bernice Neugarten, elle a associé son nom à la théorie de la continuité.

Comprendre le phénomène du désengagement

Le phénomène du désengagement survenant au troisième âge serait un processus de « dé-socialisation » qui correspondrait au phénomène de socialisation vécu au premier âge de la vie.

Durant sa jeunesse, le sujet se socialise, c'est-à-dire qu'il apprend à occuper une place grandissante dans le système social, lequel système est d'ailleurs consentant à lui faire cette place. En somme, c'est de la jeunesse à la maturité que le sujet est le plus socialisé, c'est-à-dire que son niveau d'interactions sociales est le plus élevé.

À la transition de la maturité à la vieillesse, la courbe des activités tendrait selon la théorie à s'infléchir, le sujet en venant à se retirer progressivement, et donc, à se dé-socialiser petit à petit à mesure qu'il avance en âge. Il ralentit le rythme de son travail, déménage dans un logement plus petit, perd de vue certains amis et certaines connaissances, etc.

À la vieillesse, enfin, ce processus de dé-socialisation se déroule jusqu'à son terme. Le sujet devient moins « acteur » et davantage « spectateur » et ceci, jusqu'à ce que la société ait complètement mis fin à ses attentes face au sujet âgé, et jusqu'à ce que ce dernier ait complètement mis fin à ses attentes face à la société.

« Dans toute culture et dans toute époque historique, la société et l'individu se préparent à l'ultime désengagement de la mort par un processus de désengagement social avant la mort, lequel processus est inévitable, graduel et satisfaisant de part et d'autre. Il s'agit d'un double retrait, de la part de l'individu à l'endroit de la société et de la part de la société à l'endroit de l'individu. L'individu désire se désengager et le fait en réduisant le nombre de rôles qu'il joue, en diminuant la variété de ses rôles et de ses relations, et en réduisant l'intensité de ceux qui restent. »

De plus, les relations qui subsistent seraient davantage expressives qu'instrumentales ou fonctionnelles : l'individu désengagé irait spontanément vers des activités directement gratifiantes pour lui plutôt que vers des activités susceptibles de lui apporter quelque chose dans l'avenir.  

Explication du processus de la retraite

Ce processus de désengagement est fonctionnel de deux façons pour la société. D'une part, le désengagement libérerait des emplois pour la génération suivante. Et d'autre part, la marginalisation progressive de la personne âgée permettrait d'éviter que le fonctionnement de la société ne se trouve perturbé par la mort de cette dernière.

Le phénomène du désengagement serait ainsi constitué de deux composantes, soit la composante psychologique ou interne à l'individu et, une composante sociologique caractérisée par l'influence de l'environnement sur le sujet (lequel environnement amènerait le sujet à se désengager si celui-ci ne prenait pas l'initiative de le faire).

Distinctions importantes à retenir

Les auteurs de la théorie font une distinction importante entre activité et engagement :

  • Une activité est un phénomène objectif que l'on peut décrire en termes de différents comportements.
  • Un engagement (engagement versus désengagement) est la même activité, mais enrichie cette fois de la signification positive que cette activité revêt pour le sujet.
Avec le processus « désengagement », est censé correspondre le développement d'une intériorité parce qu'une personne humaine n'est pas seulement un acteur qui interagit avec d'autres acteurs dans un environnement donné. Elle est aussi une entité qui possède sa propre histoire et qui est habitée par ses propres questionnements. Ainsi, le principal enjeu (du désengagement) est la résurgence du focus sur l'intériorité et le déclin de l'importance accordée auparavant aux événements du monde extérieur.

Donc, dès la maturité, et avant que la société ne commence à le marginaliser comme étant « trop vieux », le sujet devient plus passif dans ses façons d'interagir avec son environnement, et il réoriente d'une façon générale son énergie du monde extérieur vers son monde intérieur.

Face à ce phénomène de désengagement, certaines personnes âgées pour manifester de la rigidité personnelle, du fait que des facteurs de personnalité viendraient rendre problématique ce processus de désengagement censé être universel, spontané et gratifiant. On pourra dire, par exemple, que les personnes demeurées actives malgré leur vieillesse (et donc contradissant la théorie) vont quand même se désengager (selon la théorie), mais selon un rythme différent de la moyenne des gens, ou encore selon des modalités pouvant varier selon les lieux et les circonstances.

Désengagement et perception de soi

La façon dont les personnes vieillissantes compte pour beaucoup dans ce processus de désengagement. À mesure qu'un individu vieillit, il enregistre inévitablement des des pertes à différents niveaux : physique (divers déclins ou handicaps), interpersonnel (réduction de son réseau familial et social, principalement par le décès de certains de ses proches) et social (perte de certains rôles, dont celui de travailleur).

Certains seront portés à s'ajuster passivement à ces contraintes et donc à se désengager. d'autres sujets ont à l'inverse une histoire personnelle qui leur a montré qu'ils disposaient d'une certaine capacité d'influencer le cours de cette histoire. Ces personnes se perçoivent donc comme en mesure de trouver des solutions de rechange pour compenser les pertes dont elles font l'expérience, et motivées à investir de leur énergie pour mettre en place ces solutions de rechange. La perception du temps qui nous reste à vivre intervient alors largement dans cette équation.

 Les variables sociales auraient aussi un impact important dans le désengagement des personnes vieillissantes. Selon certaines études, un certain nombre de sujets se désengageraient effectivement, mais parce qu'il devenaient retraités, veufs ou veuves, ou malades, et non pas tout simplement parce qu'ils avançaient en âge.

Ces données portent à croire que ce serait des pertes (en particulier, des pertes de rôles et de santé) qui entraînent le désengagement, et non pas le simple fait de vieillir. Le désengagement ne serait pas  dès lors un phénomène spontané et naturel, et donc recherché par le sujet, mais plutôt un ajustement psychologique à des événements survenant en dehors de la volonté de ce sujet.

 Le principal facteur de personnalité en cause serait la façon dont le sujet a appris à réagir à ses pertes, soit en se retirant, soit en se mobilisant pour les compenser. Certains chercheurs ont trouvé que les sujets qui étaient désengagés à la vieillesse avaient déjà manifestés des tendances dans ce sens lorsqu'ils étaient jeunes adultes.

Finalement...

Résumons quelques données de base :

  • Certaines pertes sont inévitables, à mesure que le sujet vieillit : décès du conjoint, maladies, déclin de la force physique...
  • D'autres pertes pourraient être évitables si la société fonctionnait différemment : mise à la retraite à un âge obligatoire dans certaines sociétés, marginalisation de la personne âgée sous des formes plus ou moins subtiles.
  • La façon dont le sujet réagira à ces pertes (notamment en se désengageant ou pas) est clairement reliée à la personnalité que celui-ci s'est forgée plus tôt dans sa vie.
En vieillissant, la personne ne deviendrait donc pas nécessairement moins impliquée, mais, dégagée d'un certain nombre de rôles sociaux et voyant ses besoins fondamentaux relativement comblés, elle pourrait se faire davantage présente à elle-même. Ce qui ne serait pas le cas de tout le monde. En effet, selon l'Américaine Neugarten (1973) « le désengagement survient à des rythmes différents et selon des patterns différents selon les sujets » et  ce phénomène aussi « exerce un impact différent sur le bien-être psychologique des sujets ».

RD